DN-MADe MENTION GRAPHISME

Design éditorial supports multiples

Lycée Argouges, Grenoble

Mémoire DN-MADe

Année 2023-2024

L’immersion et la contemplation :

Comment une expérience spatiale peut-elle être transposée en expérience éditoriale ?

Roudet Célia

Sommaire

Préambule

Introduction

Glossaire

1. L’immersion

1.a. Origines et évolution du terme

1.b. Différents types d’immersion

2. Influences du numérique et de l’Homme sur l’art

2.a. Quête et surenchère des expériences immersives

2.a.1. L’art : un renouvellement perpétuel

2.a.2. Le digital, un subterfuge qui éloigne de l’art ?

2.b. Relation entre œuvre, artiste et spectateur

3. S’immerger par la contemplation

3.a. Dans quelles dispositions ?

3.b. Une invitation à la flânerie

Conclusion

Références

Préambule

Je suis sensible à l’art et aux visuels. J’aime passer du temps devant un sujet qui m’a interpellé, car celui-ci a résonné d’une certaine manière en moi. Que ce soit un ensemble, un détail, une couleur, un médium... Je peux ressentir de vives émotions que je ne comprends pas forcément. À ce moment là, comme si le temps s’arrêtait, j’observe, j’analyse et je décortique ce qui me fait face, pour essayer de comprendre ce qu’il y a au-delà de l’évidence. Mon esprit ne divague plus et est en totale disposition pour recevoir les réponses qu’il cherche. Je me sens alors en immersion, et cela me permet d’être dans un moment de calme, d’apaisement, sans distraction. Je n’en avait pas forcément conscience lorsque que je me suis intéressée à ce sujet, et c’est entre autre pour cette raison, que j’ai voulu mettre cet aspect de l’immersion en évidence dans ma note de synthèse.

En tant que designer, je me décrirai comme designer esthète, technique et collaborateur. En effet, l’aspect esthétique me permet de traduire mes idées et ma sensibilité, tout en servant un message. La technicité des outils numérique vient servir ma démarche créative. J’aime comprendre le fonctionnement des logiciels et appareils que j’utilise. Pour autant, j’apprécie aussi expérimenter, relier plusieurs médiums et techniques ensemble. Aussi, je me sens galvanisée lorsque je collabore avec d’autres personnes, que ce soit des designers ou non. Dialoguer pour construire une vision commune, partager des compétences pour mener à bien un projet me permet de sortir de ma zone de confort et à élargir mes horizons.

Introduction

Aujourd’hui, le mot « immersif » est employé communément pour rendre attractive n’importe quelle activité à laquelle il est associé. Ce développement exponentiel « d’expériences immersives » pose question : à quoi fait on référence exactement ? Il y a t-il des limites ? Ces termes ne sont-ils pas utilisés à outrance ? Pourquoi le public est réceptif à ce type de pratique ?

Notre société occidentale étant ultra-connectée et conditionnée à la consommation rapide de toutes choses, il est alors logique que l’ère du numérique s’étende aussi au domaine de l’art. Pourtant, à être constamment en quête de spectaculaire, nous en oublions parfois la beauté des choses simples ou banales. Alors comment faire pour mettre en pause, le temps d’un instant, ce rythme incessant ? Aller à contre-courant du fonctionnement de la société afin de se ré-approprier les codes de l’immersion, par la flânerie et la contemplation de l’art.

En me demandant comment transposer une expérience spatiale en expérience éditoriale, je vais pouvoir comprendre comment il est possible de s’immerger via différents supports, afin de ressentir une réelle connexion avec un seul et même évènement.

Pour étudier ce sujet, je vais d’abord faire un point historique de l’immersion telle qu’on l’a connaît, et voir comment elle à évoluée jusqu’à aujourd’hui. Dans un second temps, je vais analyser la place qu’ont les expériences immersives ainsi que le rapport que nous avons avec celles-ci (et l’art en général). Pour finir, je m’attarderais sur la contemplation et la flânerie, pour comprendre comment arriver à un état de lâcher prise et qu’est-ce que cela induit.

Abstract

Consumer society constantly in search of sensory stimulation, immersive experiences are everywhere and often very appealing. Even though they allow more initiatives and access to art, they lock us in a digital universe. Enjoying art and its mediums has become really difficult especially since we no longer take the time to contemplate.

This study focuses on the the term ‘’immersion’’ used since the 80s, the development of new technologies and how their are used today. It also highlights the positive and negative aspects of digital use in art, and is an attempt at understanding how people can feel immersed and connected through mediums that haven’t been thought out for (photography, painting, installation, ...). Taking the time to observe in order to feel appeased is to appreciate art again and to no longer consume it at full speed.

To feel this sensation, I chose to base myself on the notion of ‘’contemplation’’ and ‘’strolling’’, and I tried to understand how letting go allows a total presence and concentration.

Glossaire

Réalité Virtuelle

Technologie qui permet d’immerger son utilisateur dans un environnement 3D dans lequel il peut généralement se déplacer, afin de participer à des expériences impossibles à reproduire dans la réalité (ou difficiles à mettre en place). L’acronyme « VR » (Virtual Reality) est souvent utilisé en France.

Immerger

Se plonger dans une ambiance, une occupation, jusqu’à s’y oublier entièrement.

Stéréoscopie

Instrument conçu pour l’observation de clichés photographiques et permettant de restituer l’impression de la profondeur et du relief grâce à la fusion de deux images planes légèrement différentes, observées simultanément et séparément par chaque œil.

Médium

Représentation du choix de matériau ou de technique que l’artiste utilise pour concrétiser sa vision créative.

Colloque

Réunion de spécialistes en nombre plus ou moins limité convoqués pour discuter et confronter leurs informations et leurs opinions sur un thème ou un domaine donné.

NFT - Non Fugible Token

Fichier numérique auquel un certificat d’authenticité numérique a été attaché, l’art dématérialise à connu une forte expansion ces dernières années.

Présence

Capacité d’attention, de réaction.

Ressentir

Éprouver une sensation physique, en tant que telle, agréable ou désagréable.

Contempler

Considérer avec une assiduité qui engage les sens (visuel, auditif) ou l’intelligence un objet qui est ou peut être digne d’admiration.

Flâner

Avancer lentement et sans direction précise.

Laisser flâner son regard, son esprit, son imagination.

Perdre son temps ; se complaire dans l’inaction, dans le farniente.

Stimulation

Mettre quelqu’un ou quelque chose dans les conditions propres à le faire agir ou réagir ; susciter ou renforcer un mouvement.

Augmenter la sensibilité, renforcer l’activité.

  1. 1.L’immersion
  1. 1.a.Origines et évolution du terme

L’immersion est un terme utilisé à l’origine pour décrire l’action de plonger un corps dans un liquide. Dans son chapitre « L’immersion n’existe pas »1 ; Mathieu Triclot revient sur l’historique de ce mot. La dénomination « immersion » apparaît aux côtés d’aspects techniques à la fin des années 80, lorsque les nouvelles technologies, la réalité virtuelle entre autre, font leur apparition. L’écrivain Howard Rheingold contribuera à populariser et propager ce terme, en l’utilisant dans son ouvrage « Virtual Reality »2 de 1991. Il explique que l’idée d’immersion rejoint deux grands axes : « utiliser la stéréoscopie, le suivi du regard et autres technologies pour créer l’illusion de se trouver à l’intérieur d’une scène engendrée par ordinateur – est l’un des deux fondements de la technologie VR3. L’idée de navigation [...] est le second ». A partir de 1992, on retrouve les termes « immersif » et « immersion » associés à des brevets technologiques liés à la réalité virtuelle4. Les deux deviennent alors liés et presque indissociables, a mesure que celles-ci se développent ; car « l’immersion » n’a pas de limites claires et définies qui lui permettent d’englober tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la VR. Avec le temps, d’autres médiums vont être qualifiés d’immersifs, et cette notion va prendre de l’ampleur.

  1. 1.b.Différents types d’immersion

Aujourd’hui et d’après un colloque de l’Université Paris 1, on retrouve 5 catégories d’immersions, qui découlent du monde numérique, mais qui, pour certaines, s’en affranchissent.

L’immersion virtuelle toujours en lien avec le numérique, se caractérise par la réalité virtuelle sous toute ses formes, même dégradée ou incomplète. Les jeux vidéos sont qualifiés de « petit virtuel [...] qui se singularise par l’emploi d’images interactives engendrées par ordinateur ».

L’immersion fictionnelle / narrative, incite le spectateur à entrer complètement dans une fiction. Ici, on ne parle pas forcément d’une expérience à vivre, car il est possible de se sentir immergé par différents médiums (film, livre, musique, …).

L’immersion systémique désigne elle le fait d’exécuter une action dans un contexte particulier, ce qui nous permet de ressentir des émotions fortes.

L’immersion sensorielle se caractérise par la pertes de nos repères lorsque nous sommes assaillis par des stimulis sensoriels qui viennent s’entremêler pour créer un univers a part.

L’immersion réelle, au contraire de toutes les autres catégories, et surtout de l’immersion fictionnelle ; nous ancre dans notre monde. En effet, lorsque nous sommes confrontés à une expérience différente de notre quotidien (voyage, stage, atelier, …) nous perdons malgré nous nos repères et nos habitudes.

Ces catégories ont pourtant des notions communes très fortes. L’aspect de découverte, d’interaction et de sensibilité se retrouvent dans chacune d’entre elles. Aussi, elles restent toutes liées et ne fonctionnent généralement pas seule. Pour autant, ces groupes désignent aussi une saturation de l’environnement perceptif ; ce qui signifie qu’un être humain doit être en situation de mobilisation totale de son attention pour se sentir immergé dans l’expérience qu’il vit.

  1. 2.Influences du numérique et de l’Homme sur l’art
  1. 2.a.Quête et surenchère des expériences immersives

Notre société occidentale actuelle a développée une consommation du divertissement qui sur-sollicite le spectateur à longueur de temps. Dans son livre « La civilisation du poisson rouge »5, Bruno Pattino explique que notre cerveau à besoin d’être sollicité toutes les 9 secondes pour rester concentré sur un sujet. Par peur du vide, de l’ennui et de nos propres pensées, nous avons pris l’habitude d’être dans un bruit (auditif et / ou visuel) constant. Les créateurs de plateformes et de divertissements l’ont bien compris, car nous sommes aujourd’hui conditionnés à consommer du divertissement de plus en plus vite en y trouvant de moins en moins de plaisir, à force d’être constamment sur-stimulés. Les réseaux sociaux sont de grands acteurs de cette consommation rapide, avec des contenus ciblés et multiples. « Scroller », c’est à dire faire défiler du contenus sur les applications est devenu pour beaucoup une action machinale qui comble les potentiels moments de calme et de vide dans notre journée (moment où le cerveau pourrait faire une pause). Cette pratique s’étend à d’autres domaines, notamment l’art. Comme dans toutes choses, cette évolution des mentalités et le développement des outils numériques ont de bons et de mauvais côtés.

  1. 2.a.1.L’art : un renouvellement perpétuel

Lorsqu’une chose exerce des changements sur toute une population, il est normal que ces modifications s’opèrent dans plusieurs domaines qui influent eux aussi sur cette même population. On retrouve par exemple des outils dits « immersifs » dans les secteur de la mode, comme l’utilisation de la réalité augmentée pour créer ou ajouter de nouvelles pièces à une tenue, chose que le créateur Andrea Albrizio a su mettre à profit dans sont travail (Figure 1) ; ou dans le marketing, avec les campagnes publicitaires de la marque de vêtements The North Face qui utilisent des casques de réalitée virtuelle et des vidéo 360° (Figure 2) ; pour ne citer qu’eux. Il est alors normal que l’art s’accommode aussi de ces nouveautés. Comme expliqué dans un numéro de philosophie magazine6, l’art numérique « peut simplement être considéré comme une évolution naturelle de l’art contemporain » ; car les pratiques artistiques sont vouées à expérimenter, s’approprier et réinventer ce qui nous entoure. Cette nouvelle manière d’exposer et observer des images « suppose une utilisation tout à fait singulière de la technologie » : installations vidéo, projections, environnements connectés et installations audiovisuelles hybridées ou non avec des performances, sans oublier les NFT7 désormais intégralement dématérialisés. L’art et le digital forment alors un nouveau terrain de jeu et de création pour les artistes.

Le numérique permet aussi de rendre l’art accessible pour un nouveau public. La découverte passe par des médiums qu’il connaît, utilise et dans lequel il est baigné au quotidien. Le spectateur peut alors s’approprier une œuvre de manière dynamique, comme un jeu.

  1. 2.a.2.Le digital, un subterfuge qui éloigne de l’art ?

Bien que la technologie permette une approche plus contemporaine de l’art, elle l’a construit autant qu’elle l’a déconstruit. Lorsque l’approche du numérique n’est plus vouée à créer mais à dénaturer une œuvre classique, elle est discutable. En effet, plusieurs expositions immersives proposent une revisite des œuvres de divers artistes (Van Gogh, Mucha, ou encore Chagall entre autres) (Figure 3). Les sujets prennent vie, les toiles sont découpées, zoomées, superposées. Certes, cette démarche est attrayante et suscite de la curiosité ; mais elle disperse la concentration du spectateur en de multiples informations. Il ne peut alors prendre le temps d’observer le travail de l’artiste, les médiums choisis et les effets produits par ceux-ci. Les projections n’invitent pas le public à s’intéresser à ce qu’il y a au delà du résultat final. Oui, l’art devient abordable, mais il s’éloigne des musées. Dans la pensée collective, il peut être compliqué d’être sensible à ces pratiques lorsque nous ne sommes pas initiés. Pour autant, les expositions immersives sont à double tranchants et ne sensibilisent pas forcément de la meilleure des manières.

  1. 2.b.Relation entre œuvre, artiste et spectateur

Au delà du système mis en place pour créer et présenter une œuvre, il ne faut pas oublier ce qui lie l’artiste, l’œuvre et le public. Comme l’explique Umberto Eco8, une œuvre peut être achevée, c’est à dire que son auteur lui à fixé un sens et une intention ; ou bien elle peut être ouverte. La participation active du spectateur est alors nécessaire pour la faire vivre. Quoi que l’artiste ait pu ou voulu insuffler comme intention ou idée de départ, ce sont les témoins de la réalisation qui ont le maître mot. Qu’il y ait un contexte, une narration, ou au contraire un libre champ de réflexion, le spectateur va s’approprier ce qu’il voit grâce a son vécu, sa sensibilité, et sa propre compréhension du sujet ; afin de se faire son avis. « La poétique de l’œuvre ouverte » exprime aussi que l’ouverture devient un instrument de pédagogie. En interpellant ou en questionnant, elle peut permettre au public une prise de conscience et une réflexion autour d’une thématique.

Il faut aussi savoir différencier le cadre immersif et la sensation d’immersion. Le cadre, c’est le dispositif mis en place (souvent lié à la réalité virtuelle) ; la sensation, c’est la perception que l’on a. C’est ce qui peut nous relier à une œuvre sans pour autant qu’elle soit dédiée a une surcharge sensorielle. Je pense alors qu’il est possible de se sentir immergé face à n’importe quoi (livre, musique, film, ...) tant que nous nous sentons portés par un sujet. Le visuel peut servir de support pour porter un projet ou un message. À ce moment là, la part de contexte peut être importante, comme dans le design graphique, où le visuel9. La réalisation de cette affiche s’est faite avec l’aide de la troupe de théâtre, afin de mutualiser les idées et réunir les pratiques artistiques. Les recherches se sont axées autour du corps et du mouvement. Le mélange entre l’image et la matière donne envie de s’attarder sur l’affiche (Figure 4).

Pour autant, il ne doit pas forcément être explicite et compris au premier regard pour accompagner un projet. C’est le cas par exemple pour la cover de l’album « Garçon » de Luther10, qui est énigmatique au premier regard mais qui se comprend a mesure que l’on écoute l’album (Figure 5).

À l’inverse, certaines œuvres ou installations sont dédiées à flâner sans se poser de question, en appréciant simplement l’esthétique et les couleurs de celles-ci. Des artistes comme James Turell mettent l’accent sur le cadre immersif sans utiliser d’outils numériques. Ils invitent leur public dans des espaces colorés qui jouent avec la lumière, qui permettent d’être plongé dans un bain de sensations. (Figure 6)

Parmi les artistes qui s’inscrivent dans cette démarche, comme Mark Rothko, ont fait le choix de créer une relation entre le spectateur et leurs supports par d’autres caractéristiques, comme le format et le choix des couleurs. L’idée pour celui-ci étant de ne pas chercher à tout prix des réponses, mais de se déconnecter sa réalité et se laisser aller, en prenant le temps de contempler, comme une forme de méditation. (Figure 7)

  1. 3.S’immerger par la contemplation
  1. 3.a.Dans quelles dispositions ?

Au delà d’un dispositif réfléchi par l’artiste pour attirer le spectateur, c’est le spectateur lui même qui doit se mettre dans certaines dispositions pour vivre au mieux son expérience. En effet, une sorte de préparation psychologique est nécessaire pour recevoir au mieux les informations transmises.

Pour pouvoir découvrir et s’enrichir de toutes pratiques, il faut savoir sortir de sa zone de confort et être curieux en toutes circonstances. Être ouvert d’esprit permet de ne pas juger au premier coup d’œil, et d’apprivoiser plus facilement la nouveauté. Ce qui nous est inconnu peut nous paraître désagréable, étrange aux premiers abords, il nous faut donc un temps d’adaptation pour s’y familiariser.

Faire preuve de présence et d’empathie est aussi primordial pour se sentir immergé. Comme expliqué dans ma première partie, il faut mobiliser complètement son attention et arriver à se connecter émotionellement à la réalisation en accueillant ses propres ressentis pour accéder à cet état de « connexion ». Se concentrer permet de créer un espace de calme pour pouvoir se laisser aller à la contemplation.

Il peut être aussi intéressant de partager avec autrui ses ressentis, car chaque spectateur développe un avis et un point de vue qui lui est propre.

Intégrer la participation du spectateur au sein du processus de création peut permettre de communiquer d’une nouvelle manière par le biais de l’art. L’échange ne se fait plus a travers d’un résultat mais en direct ; comme lors de l’atelier initié par Fanny Laulaigne11 (Figure 8).

  1. 3.b.Une invitation à la flânerie

D’après plusieurs auteurs12, flâner c’est déambuler de manière délibérée. Sans avoir de but précis, c’est une invitation à ralentir, à prendre le temps de (re)-découvrir ce qui nous entoure et à nous attarder sur des choses qui nous semblent insignifiantes d’habitude, afin de rendre visible l’invisible.

Flâner, c’est aller à l’encontre de la spectacularisation du monde et de la sur-stimulation imposée par la société pour s’adonner à la contemplation. Cette façon de ressentir et d’apprécier le monde qui nous entoure permet à la fois de laisser notre esprit divaguer, d’accueillir nos pensées et nos émotions mais aussi d’arriver à un état de présence totale, où nous vivons pleinement l’instant présent.

C’est parce que la vue est le sens le plus sollicité chez l’être humain (elle représente plus de 80 % des perceptions sensorielles13) que je me suis demandé comment il était possible de ressentir de vives émotions en étant dans une zone de calme. Le photographe Wrapped.nil décrit assez bien cette idée dans ses clichés. Il présente des moments de vie, des personnes dans leur quotidien, de prime abord une scène banale, mais son travail du flou représente aussi la quête du « toujours plus vite », le rythme incessant que la vie et la société impose à chacun. Ce contraste forme une harmonie qui donne envie de s’attarder devant.

La contemplation sert à désenclaver les pensées, tout comme le rêve. Le rêve est une dimension que nous ne pouvons pas contrôler. Les images et les histoires se succèdent, au gré de notre quotidien et de nos pensées profondes. D’après le philosophe Gaston Bachelard, l’esprit, lorsqu’il est confronté à lui même, ouvre les possibilités de l’imaginaire et sollicite ses capacités créatrices. Arriver à un état de contemplation permettrait alors de ressentir des sensations aussi profondes que lorsque nous rêvons.

Toujours d’après Bachelard, la vision de l’artiste est une retranscription de ses propres rêves et de ce qu’il a contemplé. La contemplation est alors quelque chose qui est propre à chacun, mais c’est aussi une vision onirique qui se partage pour démultiplier sa beauté.

Claude Monet assurait « Ce que je fais ici, aura au moins le mérite de ne ressembler à personne. Parce que ce sera l’impression de ce que j’ai ressenti. En dehors de la peinture et du jardinage, je ne suis bon à rien! Tout le monde discute de mon art et fait semblant de comprendre, comme si il fallait comprendre, quand il faut tout simplement aimer. » Cette citation montre qu’intellectualiser une œuvre n’est pas forcément nécessaire. Comme d’autres (Mark Rothko cité en partie 2 par exemple) ; Monet souhaite avant tout partager sa vision de la beauté et du monde. Son art est une extension de ses sentiments, et les sentiments ne sont pas voués à être analysés.

Conclusion

L’immersion est aujourd’hui un effet de mode qui pousse le public a vivre des expériences hors du commun, qui repoussent les limites du monde réel autant que du monde virtuel. Ce mode de fonctionnement tend à faire penser que pour vivre des émotions fortes, il faut que l’expérience vécue soit spectaculaire. Pourtant, la sensation d’immersion se trouve aussi dans l’ordinaire ; dans chaque actions du quotidien, du moment que nous nous y consacrons pleinement.

C’est pour moi, plutôt la sensation de plénitude que nous ressentons lorsque nous flânons ou contemplons quelque chose, que je souhaite faire prévaloir aujourd’hui. (Ré)apprendre à prendre le temps et à se focaliser sur des choses en apparence : petites, banales, insignifiantes, usuelles ; nous permettent de laisser vagabonder notre esprit.

Travailler dans un contexte artistique et / ou culturel me permettrait de pouvoir répondre au mieux à ma problématique : « Comment une expérience spatiale peut-elle être transposée en expérience éditoriale ? ». Je pourrai d’abord mettre en scène (travail de lumière, d’ornementation, de signalétique) un espace immersif, un lieu d’exposition, où il serait possible de déambuler. L’enjeu serait de revisiter le catalogue d’exposition, de créer un objet éditorial qui ferait lien avec l’expérience. Cet objet aurait une forme non-définitive qui serait fluide dans sa forme éditoriale, car elle pourrait être complétée à la suite de l’événement. En recueillant les témoignages des spectateurs, je pourrais comprendre à quoi ils ont été réceptifs. Je pourrai alors garder trace de l’expérience vécue et avoir un objet retraçant l’expérience du début à la fin.

Ce projet me permettrait de témoigner, d’archiver et créer un outil de médiation.

Remerciements

Je tiens à remercier Jaimé Jimenez, graphiste dans la Drôme, d’avoir pris le temps de discuter avec moi et d’avoir répondu à mes questions.

Je remercie mes camarades de classe, ainsi que mes professeurs, qui m’ont accompagnés dans mon processus de recherches et d’écriture.

Pour finir je remercie toutes les personnes avec qui j’ai pu parler de ce sujet, ou qui ont consacré du temps à la relecture de cet article.

Références

Chanthanakone, Antony. “L’art immersif”, expérience unique ou arnaque?, Philosophie magazine, 2021 (consulté le 14/12), https://www.philomag.com/articles/lart-immersif-experience-unique-ou-arnaque

Pattino, Bruno. La civilisation du poisson rouge, Éditions Grasset, 2019

Geshwind, David Michael. « Interactive computer system for creating three-dimensional image information », Patent Number : 6590573, Date de dépôt : 25 septembre 1992

Rheingold, Howard. Virtual Reality, New York, Simon & Schuster, 1991

Triclot, Mathieu. « L’immersion n’existe pas », in V. Tirloni (ed.), L’image virtuelle, Paris, L’Harmattan, Transversales philosophiques, 2012, https://shs.hal.science/halshs-01666832/document# :~ :text=L’immersion

Eco, Umberto. La poétique de l’œuvre ouverte, Édition du Seuil, 1965

Benjamin, Walter. Paris, capitale du XIXe siècle, 1982 - Guy Debord, La Société du spectacle, Buchet/Chastel, 1967 - Rebecca Solnit, Wanderlust : A History of Walking, 2000


1 Mathieu Triclot, « L’immersion n’existe pas », in V. Tirloni (ed.), L’image virtuelle, Paris, L’Harmattan, Transversales philosophiques, 2012

2 Howard Rheingold, Virtual Reality , New York, Simon & Schuster, 1991

3 VR : accronyme de Réalité Virtuelle (en anglais : Virtual Reality)

4 David Michael Geshwind, « Interactive computer system for creating three-dimensional image information », Patent Number : 6590573, Date de dépôt : 25 septembre 1992

5 Bruno Pattino, La civilisation du poisson rouge, Éditions Grasset, 2019

6 Antony Chanthanakone, “L’art immersif”, expérience unique ou arnaque ?, Philosophie magazine, 2021

7 NFT : accronyme pour Non Fugible Token - fichier numérique auquel un certificat d’authenticité numérique a été attaché

8 Umberto Eco La poétique de l’œuvre ouverte, Edition du Seuil, 1965

9 cf. analyse affiche de Formes Vives pour le théâtre des 13 Vents

10 cf. analyse cover de l’album « Garçon » de Luther, réalisée par Denzgue en annexe

11 cf. Analyse en annexe : Fanny Laulaigne, « Village 2 santé »

12 Walter Benjamin , Paris, capitale du XIXe siècle, 1982 - Guy Debord, La Société du spectacle, Buchet/Chastel, 1967 - Rebecca Solnit, Wanderlust : A History of Walking, 2000

13 Chiffres d’après le site MaPréventionSanté.fr

Figure 1 : Tenue en réalitée augmentée, Andrea Albrizio et Zero10, Paris, FashionWeek, 2023

Figure 2 : Campagne publicitaire immersive, The North Face, Corée du Sud, 2015

Figure 5 : Album « Garçon », Luther, Denzgue, 2022

Figure 3 : Exposition « Van Gogh, la nuit étoilée », Carrière des Lumières, Baux-De-Provence, 2020

Figure 4 : Affiche saison de spectacle, Théâtre des 13 Vents, Formes Vives, Montpellier, 2018

Figure 6 : Installation « Meeting », James Turell, MoMA, New York, 1986

Figure 7 : « Untitled (Violet, Black, Orange, Yellow on White and Red) », Mark Rothko, Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 1949

Figure 8 : Atelier participatif, « Village 2 Santé », Fanny Laulaigne, 2019

Figure 9 : Wrapped.nil, New York, 2023

Figure 10 : Claude Monet, « Le Bassin aux nymphéas, harmonie verte », 1899