DN-MADe MENTION GRAPHISME

Design éditorial supports multiples

Lycée Argouges, Grenoble

Note de Synthèse DN-MADe

Année 2024-2025

En quoi, par son processus créatif, le designer graphique peut-il bouleverser les signes typographiques ?

Bousculer la création

Louise Sarri

Sommaire

Glossaire

Préambule :

Abstract :

Introduction :

1. Engager le corps

1.a. États initiaux de création et rituels

1.b. Jouer avec les contraintes et états du corps

2. Aventurer l’espace par le grand format

2.a. Des outils bricolés, détournés, inventés

2.b. S’imprégner d’un lieu pour déclencher, contraindre, influencer la création

2.c. Vivre et recevoir le grand format

3. S’affranchir des codes du signe typographique

3.a. Le système universel de l’alphabet, un signe typographique bien calibré

3.b. Le tracé pour envisager l’anatomie du caractère

3.c. Une lettre expressive

3.d. Le vernaculaire comme pratique expérimentale pour enrichir le signe

Conclusion

Remerciements

Bibliographie

Glossaire

Sources : tombolo presse, CNRTL, fraap, pratiques-typographiques.fr

Déconditionner :

Extinction d’une habitude ou d’un automatisme, s’extraire des règles et codes conventionnels.

Vernaculaire :

(Latin : vernaculus, « relatif aux esclaves nés dans la maison ») Relatif à la langue ou au dialecte, propre à une région, un pays ou ses habitants, souvent par opposition à une langue plus standardisée ou officielle.

In situ :

(Latin : in situ, dans l’endroit même) Dans le lieu précis où quelque chose se trouve.

En art contemporain, l’œuvre in situ est directement liée à son site d’accueil : elle en tient compte et ne peut être transportée en un autre lieu.

Engagement physique :

Fait d’entreprendre quelque chose en y mettant toutes ses forces, utilisation maximale de ses capacités.
Dans les arts plastiques actuels, il est des pratiques où le corps humain se pose en révélateur et catalyseur, permettant d’atteindre les limites des possibles, et ainsi éclaire des zones d’ombre au cœur de la création et de ses liens avec le social.

Rituels :

Ensemble d’habitudes, de règles.

Les rituels artistiques sont des comportements répétitifs intentionnels et répétitifs qui permettent aux artistes de se préparer mentalement, physiquement et émotionnellement à la création, en délimitant un espace-temps propice à l’inspiration et à la concentration.

Résidence artistique :

Une résidence artistique permet à un artiste-auteur de consacrer un temps de création en dehors de son cadre de vie et de travail habituel, dans un espace de travail mis à sa disposition, ainsi qu’un hébergement, un accompagnement et des moyens financiers.

La résidence est définie de manière concertée entre un artiste, un acteur culturel et une collectivité autour d’objectifs qui peuvent être la création, la diffusion ou des actions en direction des publics les plus larges.

organicité :

Dans le contexte du design, désigne une qualité qui évoque la vitalité, le vivant et le geste corporel à travers une matérialité expressive. Elle se manifeste par des traces intentionnelles, qui traduisent un lien direct entre le geste créatif et l’image. Cette notion met en avant une approche incarnée et spontanée, où la production s’inscrit dans une dynamique de création intuitive, mêlant humanité et matérialité.

picturalité :

Désigne une qualité visuelle qui renvoie explicitement à la peinture, tant par ses procédés que par son esthétique. Elle s’exprime par une matérialité assumée, le geste visible et les effets de texture ou de surface, qui témoignent d’une intervention humaine directe.

Expressif :

Qui manifeste vivement le sentiment, l’intention ; significatif, éloquent.

Médium

En critique d’art médium désigne les moyens matériels mis en œuvre par l’artiste. Le médium du peintre c’est la peinture telle qu’il l’emploie sur le support qu’il choisit. L’art moderne et contemporain ont su multiplier les expérimentations de nouveaux médiums : les papiers-collés, le collage, l’assemblage...

Calame :

Roseau taillé dont se servaient les anciens pour écrire sur le papyrus ou le parchemin.

Light painting

Le light painting est une technique photographique qui consiste à réaliser des traînées de lumière en combinant la pratique de la pose longue et l’utilisation d’une ou plusieurs sources mobiles d’éclairage artificiel. Le mouvement de ces sources lumineuses ne pouvant être révélé que par l’adoption d’un temps de pose relativement long, la réalisation d’un light painting doit par conséquent prendre place dans un espace relativement sombre de manière à éviter toute surexposition.

Anatomie du caractère

Ensemble des caractéristiques qui définissent un caractère typographique tel que le corps, la hauteur d’x, la hampe, les empattements...

Ductus :

Désigne le nombre, l’ordre & le sens des traits dans le tracé d’une lettre. S’applique également à l’aspect général d’une écriture. Sur les planches de modèles, le ductus est souvent signifié par de petites flèches numérotées. Lorsque l’on a suffisamment pratiqué la calligraphie, il nous est possible de reconstituer le ductus par l’observation des pleins & des déliés d’une écriture. source :

Délié :

Partie maigre et déliée d’une lettre par opposition au plein. Il s’agit des lignes les plus fines de la lettre qui sont tracées par un geste remontant. Il peut être la conséquence d’une plume biseauté inclinée dont l’épaisseur la plus fine trace ou bien d’une plume pointue qui ne s’ouvre pas lorsque la main remonte.

Plein :

Partie épaisse d’une lettre par opposition au délié. Il s’agit des lignes les plus épaisses de la lettre qui sont tracées par un geste descendant. Il peut être la conséquence d’une plume biseauté inclinée dont l’épaisseur la plus large trace ou bien d’une plume pointue qui s’ouvre lorsque la main descend.

Empattement :

En typographie, les empattements sont les petites extensions qui forment la terminaison des caractères dans certaines polices d’écriture (dites serif en anglais). Il existe différents types d’empattements, rectangulaires, triangulaires ou encore filiformes. Ces différences ont permis de hiérarchiser les nombreux caractères existants sous la forme de familles de caractères (les Antiques, les Égyptiennes, les Elzévirs et les Didots selon la classification Thibaudeau).

Cursive :

Écriture tracée avec rapidité, et dont les lettres sont liées.

Hampe, ascendante :

Nom du plein qui prolonge la lettre vers le bas (on entend parfois « queue » à la place de hampe).

Jambage :

Partie verticale de certaines lettres, terminée par une courbe (dans la lettre « g » par exemple).

Lettrage modulaire

La typographie modulaire est un ensemble de caractères construit à partir d’un nombre limité de formes ou de modules. Le thème modulaire décrit l’ensemble des lettres assemblées à partir d’une palette limitée d’éléments agrandis, retournés ou répétés.

Préambule :

C’est lors de mon stage de deuxième année avec une typographe que je crée ma toute première typographie. Le projet étant libre et personnel, mes idées se sont arrêtées sur le ductus1 de la lettre, le sens avec lequel nous traçons chaque lettre. J’ai souhaité prendre ce ductus à contre pied, inventer un nouveau chemin pour représenter la lettre, réapprendre à dessiner le caractère et questionner sur ces nouvelles formes, défier la lisibilité, pour me détacher de ce que j’avais pu apprendre du dessin typographique.

Travailler sur la typographie m’a tout de suite paru assez évident, mais pas dans son sens ordinaire et conventionnel, parler plutôt de comment déjouer ces règles, comment est-ce que le créateur peut sortir des attentes ordinaires de son domaine. Et pour cela, il faut se pencher sur le processus de création. Comment peut-on renouveler, réimaginer nos procédés de création pour nous remettre en question, produire de l’inattendu et de la surprise. Se détacher des outils numériques, en revenant à des pratiques manuelles qui recentrent le geste et la matière au cœur de l’expérience créative.

Mais alors comment réinventer son processus pour parvenir à un résultat qui dépasse nos attentes ? Comment explorer des formes plastiques nouvelles et, au-delà, inventer de nouvelles manières de créer ? La recherche de ces « hasards contrôlés » implique de repenser nos outils, nos gestes et même notre façon d’appréhender l’acte créatif.

Inviter l’expérimentation, l’abandon des certitudes et des règles comme moteur du renouveau. C’est dans cet espace entre contrôle et lâcher-prise que l’on peut trouver des pistes pour réinventer la création graphique, qu’il s’agisse de formes, de typographies, ou de processus créatifs.

Abstract :

Serendipity is defined as the occurrence of making pleasant and desirable discoveries by pure accident. Being open to the unexpected is a true ability that can improve the development of a project and break off with traditional expectations in design and typography. Reshaping the act of creation with unconventional creative processes such as introducing new tools, physical engagement, large formats, or twisted ways of creating . Those methods can be a true source of inspiration for artists and, more specifically, graphic designers. It can push boundaries and encourage exploring uncharted territories in the creative process.

The typographic field has a lot of rules and conventions to respect, such has readability, hierarchy... Going beyong those boundaries can break free from those constraints , it can open new perspectives, allowing designers to reimagine the shapes, gestures, and functions of letters.

Introduction :

Les signes typographiques, fondés selon une approche fonctionnelle et utilitaire, se sont standardisés pour répondre aux exigences de clarté et de communication rapide. Pourtant, ces cadres stricts, bien que nécessaires dans certains contextes, peuvent limiter l’imaginaire et la créativité. Que se passe-t-il lorsqu’un designer graphique décide de dépasser ces contraintes ? Peut-il, par le biais de processus créatifs audacieux, transformer les signes en véritables productions singulières ?

Cette note de synthèse propose d’explorer cette dynamique de rupture et de réinvention, où le signe typographie devient un champ d’expérimentation. À travers des processus non conventionnels, notamment l’implication du corps dans la création, un corps engagé et un geste incarné. Mais aussi la découverte et l’exploitation de l’espace par le grand format en passant par l’appropriation d’outils de production inédits. Le designer graphique peut bouleverser les codes établis pour inventer un langage visuel nouveau. Cette approche met en lumière l’importance du geste et de la matérialité dans la conception des signes, faisant de la typographie non plus seulement un vecteur de sens, mais un terrain de jeu plastique et narratif.

Nous aborderons donc dans un premier temps l’engagement du corps dans la création, avant de nous intéresser aux productions dans l’espace avec le grand format. Enfin, nous explorerons comment le travail sur la lettre permet de s’affranchir des codes traditionnels du signe typographique, en appliquant les processus créatifs évoqués ultérieurement.

Cet écrit s’inscrit dans cette quête : réinventer l’acte créatif en mêlant tradition et innovation, maîtrise et lâcher-prise. En m’appuyant sur des références artistiques et des expérimentations personnelles, je cherche à comprendre comment ces pratiques permettent de redéfinir notre rapport à la lettre et au signe mais plus généralement à la création.

Questionner la place du designer graphique dans cette réinvention permanente : comment peut-il, par son processus, non seulement répondre à une fonction mais aussi s’affranchir des règles de conception et transcender le signe ?

À travers cette réflexion, nous verrons comment le signe typographique, lorsqu’il est libéré de ses fonctions utilitaires, peut se transformer en une matière vivante, une trace expressive qui dialogue avec son environnement et invite le spectateur à une expérience immersive. En replaçant la création dans une perspective sensible et expérimentale, cet écrit propose d’interroger sur les manières de réellement bousculer la création, particulièrement la création typographique, par le biais du processus créatif.

  1. 1.Engager le corps
  1. 1.a.États initiaux de création et rituels

Les rituels, ces séquences d’actions symboliques et répétitives, sont profondément ancrés dans la nature humaine. Nous allons nous concentrer sur les routines quotidiennes d’artistes qui les aident à accroître leur efficacité et, avant tout, leur permettent de se mettre dans des conditions mentales et physiques optimales pour créer. Beaucoup de questions peuvent alors se poser quant au caractère exclusif et personnel de ces rituels : Y a-t-il un rituel miracle pour la création ? Faut-il être confortable, contraint, ou allier les deux ? Doit-on investir tout son temps dans la production ou y aller petit à petit en se laissant du temps libre ? Est-il nécessaire de s’imposer une routine à suivre chaque jour ou faut-il changer régulièrement pour ne pas tomber dans la monotonie ?

Mason Currey s’est posé toutes ces questions. Son livre Daily Rituals2 est une compilation de rituels de création de 161 « grands esprits » de la culture occidentale. Ce regroupement de préparations à la création, montre l’hétérogénéité de cette mise en état pour chaque artiste, exposant plusieurs éléments qui varient pour chacun d’entre eux. On retrouve par exemple le temps consacré à leurs projets, ceux qui s’acharnent pendant de longues heures, et puis ceux qui consacrent qu’une petite partie de leur journée à la création pure, et nourrissent leur esprit autrement.

On peut également se pencher sur l’espace de travail qui est un des piliers de la création, un créateur va avoir généralement besoin de se retrouver dans son atelier, une pièce de sa maison, une ville particulière ou encore en extérieur, pour créer de manière productive et efficace. Dans une interview de Germain Viatte, l’artiste Fabienne Verdier exprime : « C’est dans ma fosse que j’entreprends ce forage intérieur et que j’attends l’émergence de ces réminiscences poétiques que je tente de saisir au vol. »3.

Cette ritualisation de pré-création s’apparente à une routine quotidienne, une obligation que le créateur doit mettre en place s’il veut être dans les meilleures conditions possibles. Rattaché à un aspect à la fois pragmatique dans sa mise en place ordonnée de cette programmation, cette pratique peut également dégager une spiritualité, où la personne se met dans un état méditatif pour se plonger entièrement dans la création qu’elle projette : « Je ne commence le rituel que si cette vision commence à être là, présente en moi... Puis il s’agit de foudroyer la forme tout en laissant advenir ce qui cherche à naître. Je ne sais pas si c’est une maîtrise ou si c’est l’acceptation d’une forme d’aléatoire. ».

Transcender cette maîtrise nécessite énormément de travail et d’entraînement. Nous pouvons nous questionner quant à l’art de la calligraphie japonaise, ou shodō. Une technique qui dépasse la simple maîtrise des mécanismes de l’écriture : il s’agit d’une pratique sacrée et spirituelle, profondément ancrée dans la culture japonaise. Elle cherche à établir une connexion avec quelque chose de plus grand que soi. Cette discipline invite à une union entre le corps, l’esprit et l’énergie vitale, permettant au calligraphe de transcender l’acte d’écrire pour atteindre un état de plénitude intérieure.

« La calligraphie, c’est exprimer sur du papier vierge, par le biais de signes, à la fois les mots que l’on aime et son état intérieur du moment. Déjà, préparer l’encre par frottement du bâton d’encre contre l’encrier permet de se détendre et de se préparer soi-même avant d’écrire. Alors, surgit l’acte unique du tracer. »4

La préparation occupe une place centrale et essentielle dans cette pratique. Avant de commencer à tracer les caractères, le calligraphe engage un processus d’introspection et de recentrage. Ce moment de préparation, souvent accompagné de méditation ou d’exercices de respiration, permet de calmer l’esprit, de libérer les tensions et d’accéder à un état de sérénité. Cela reflète l’idée que l’écriture calligraphique n’est pas seulement une action physique, mais un geste habité par une intention pure et une énergie harmonieuse.

Dans la calligraphie japonaise, la préparation revêt donc une importance égale à l’acte d’écrire. C’est une étape qui transcende la simple création artistique pour devenir une expérience spirituelle, où chaque trait porte en lui l’énergie, la concentration et l’harmonie de l’instant présent.

En définitif, qu’il s’agisse des routines d’artistes contemporains ou des rituels millénaires de la calligraphie japonaise, la préparation à la création apparaît comme une étape fondamentale. Ces rituels, qu’ils soient hautement structurés ou empreints d’une certaine fluidité, répondent au besoin universel de se conditionner pour atteindre un état propice à l’expression artistique.

À travers ces pratiques, on retrouve un fil rouge : la recherche d’une harmonie intérieure qui favorise une créativité authentique. Il n’existe pas de « protocole miracle » universel, mais une multitude de chemins singuliers permettant à chacun de plonger dans l’acte créatif et d’y trouver un équilibre entre contrainte et liberté, introspection et action.

  1. 1.b.Jouer avec les contraintes et états du corps

L’engagement du corps dans le processus créatif constitue une dimension fondamentale et universelle de l’art. Le corps est à la fois outil, médiateur et source d’expression. Il transcende la simple exécution technique pour devenir un acteur central dans la relation entre l’artiste, son œuvre et le spectateur. Il est le lieu d’une double tension : à la fois moyen d’expression libre et contrainte physique inévitable.

Cette dualité, loin d’être un obstacle, ouvre un champ de possibilités infinies, où la confrontation entre limites et dépassements enrichit la démarche artistique.

Dans de nombreuses pratiques artistiques, le corps se met en mouvement, au sens propre comme au figuré, pour révéler des intentions profondes et des émotions. Il devient un outil de médiation, capable d’inscrire dans la matière des gestes qui témoignent de la présence humaine et du moment vécu.

En investissant pleinement son corps, l’artiste dépasse la simple manipulation d’un médium : il inscrit son empreinte, son rythme, et parfois même ses limites physiques, dans l’œuvre. Dans cette partie, nous explorerons comment le corps devient à la fois acteur et témoin de la création. Nous examinerons comment, en s’appropriant son corps et ses contraintes, l’artiste transcende la matière pour offrir une vision unique, empreinte de gestes, de temps, et d’espace.

L’une des plus grandes contraintes du corps est le temps. Le corps est témoin du temps qui passe, il ne peut mentir. Dans leurs productions, certains artistes ont fait le choix de jouer avec ce temps qui s’écoule, constater le vieillissement, observer et parfois même figer la durée pour mieux l’apprécier.

En étalant leur processus sur une longue période, les artistes apprennent à cohabiter avec le temps qui passe, faisant évoluer leur travail sur la longue durée. La répétition du geste, la précision du trait et l’accumulation de lignes ou de motifs introduisent une dimension contemplative sur la longue durée dans son travail.

À travers son projet MOD, l’artiste calligraphe Vincent de Boer dépasse l’œuvre terminée pour nous immerger dans le processus de création lui-même. Cette installation (Figure 1) en constante évolution. Elle capte l’instantanéité de chaque geste et traduit l’énergie de l’artiste, en constante interaction avec son environnement.

Chaque trait s’inscrit comme un témoignage du temps présent. Pour de Boer, ce dialogue entre l’artiste, le geste et l’espace et le temps est fondamental pour saisir la profondeur de chaque trait calligraphique. (Analyse sur les travaux de Vincent de Boer en annexe page 58)

En s’inscrivant dans la durée et en s’étendant au-delà des limites d’un cadre, MOD amène le spectateur à considérer l’œuvre d’art non comme un objet figé mais comme une création vivante, un processus en perpétuelle évolution.

L’artiste Roman Opalka, lui, n’a pas fixé de date de fin pour ses travaux, la fin arrivera avec sa mort : « Mon projet, c’est le projet d’un peintre pour peindre la durée de son existence jusqu’à sa propre fin, c’est-à-dire la mort. Si la mort n’est pas intégrée dans un projet comme le mien, le temps n’existe pas. J’allais dire bêtement que c’est grâce à la mort que le temps est là, qui passe, sinon le temps serait l’histoire d’une horloge. »5.

à l’âge de 34 ans, il entreprend donc de compter et d’écrire les nombres jusqu’à l’infini à la peinture blanche sur des toiles toujours de même dimension qu’il appelle les Détails. Elle est le fruit de 45 années de travail, de 231 tableaux, et d’un nombre : 5 607 249. On y perçoit, de manière évidente, l’épuisement des données, des nombres, dont la répétition quasi obsessionnelle nous frappe immédiatement.

L’immense travail de numération qu’entreprend Opalka est avant tout une tentative de retranscrire sur la toile un temps irréversible (Figure 2). La volonté d’inscrire ses œuvres dans la durée, de montrer l’évolution au fil des heures, des jours, des années, c’est vouloir témoigner le passage du temps, montrer sa marque et le changement qu’il a impliqué. L’œuvre devient un enregistrement temporel, un moyen de garder une trace du passé. Constater un épuisement des médiums, des surfaces mais avant tout, du corps et de l’esprit. Comment le corps va vivre le temps qui passe, comment la répétition sur un très grand laps de temps va l’impacter, le geste va devenir réflexe, maîtrisé à la perfection par habitude. Le corps ainsi que les traces laissées vont être les témoins du passage du temps, tous deux marqués par la durée.

Chaque corps est unique dans sa forme, son enveloppe... L’empreinte digitale reflète cette singularité que possède chaque être humain. Chaque empreinte digitale est unique, une infime partie du corps qui constitue une partie de notre identité. Avec sa série Anthropométrie (1960), Yves Klein explore le corps comme un véritable « pinceau vivant ». L’idée de saisir les corps prend une dimension performative. Le terme Anthropométrie, proposé par le critique Pierre Restany (anthropo, du grec anthropos : homme, et métrie : mesure), désigne cette technique des pinceaux vivants.

Cette réflexion peut être enrichie par le travail de l’artiste américaine Heather Hansen ainsi que l’artiste Fabienne Verdier, qui engagent leur propre corps dans la création. À travers son projet Emptied Gestures, Hansen utilise ses mouvements dansés pour dessiner au fusain sur de grandes surfaces de papier (Figure 3). Ses gestes fluides et chorégraphiés produisent des formes et motifs symétriques, où chaque ligne est le résultat direct de l’amplitude de ses mouvements corporels. Les performances de Hansen fascinent autant que les œuvres finales. Son processus dévoile une danse intime et instinctive où les gestes, répétés avec précision, tracent des lignes imprévisibles et dynamiques. Elle rentre dans une transe artistique qui pousse son corps à se plier, se tordre ou se lever du papier, en utilisant son envergure corporelle, elle dévoile des compositions uniques qui matérialisent littéralement son interaction avec l’espace et la surface.

Fabienne Verdier quant à elle peint sa toile avec un immense pinceau accroché au plafond. Elle va l’accompagner dans une danse en harmonie avec lui (Figure 4 et Figure 5). Les pinceaux qu’elle utilise sont lourds et encombrants, symbolisant un défi physique. Ça lui demande une très grande maîtrise de son outil de travail. Fabienne Verdier va, à l’aide de son corps, incarner le pinceau. Elle va se plonger dans un état d’exaltation en accord avec son mouvement, une quête de spiritualité.

Verdier décrit cette recherche de spontanéité comme un état difficile à atteindre, qui exige de lâcher prise pour saisir l’instant. C’est une approche qui rappelle la méditation, où l’artiste libère son esprit pour se connecter à quelque chose de plus grand qu’elle.

Cette méthode lui permet d’intégrer tout son corps dans le processus créatif, en se déplaçant physiquement autour de la toile. Son corps guide le pinceau tout en laissant une liberté au mouvement, comme si l’outil et elle ne faisaient qu’un. À la manière de l’action painting, elle exprime l’énergie du moment à travers des gestes amples, dynamiques et envoûtés, dans un état de transe corporel avec son outil et sa toile. (Analyse sur la technique de Fabienne Verdier en annexe page 62)

Ces artistes partagent une fascination commune pour l’engagement corporel et son inscription dans l’espace lors de la création. L’empreinte corporelle est dirigée et mise à distance, on est spectateur de l’engagement des corps lors de performances, dans un dialogue direct avec le support, où chaque mouvement devient geste créatif.

L’implication du corps dans le processus créatif révèle une dualité intéressante : à la fois source d’inspiration et contrainte, il accompagne l’artiste tout en imposant ses limites physiques. Qu’il s’agisse de capturer l’immédiateté du geste, de figer l’empreinte du temps dans la matière, ou de fusionner mouvement et surface dans des œuvres performatives.

Cette exploration du corps s’inscrit dans une dynamique où l’espace et le format jouent un rôle clé. Les œuvres ne se contentent pas de la surface traditionnelle du tableau : elles s’étendent, envahissent et redéfinissent l’espace, comme une prolongation du geste corporel. Le grand format devient une extension du mouvement, un terrain où le corps peut pleinement s’exprimer, à la fois contraint et libéré par les dimensions du support.

  1. 2.Aventurer l’espace par le grand format
  1. 2.a.Des outils bricolés, détournés, inventés

En introduisant des outils inédits ou détournés, les designers se libèrent des attentes traditionnelles. Nous explorerons l’impact que ces outils non conventionnels peuvent avoir sur le résultat final d’une production, tant par le format que par la matérialité et vivacité de la trace faite. Les designers cherchent à renouveler leur rapport à l’outil et à la production. Ce recours à l’assemblage, au détournement, permet non seulement de questionner la valeur de l’objet et de l’outil en tant que simple moyen de production, mais aussi d’ouvrir de nouvelles voies vers une créativité plus spontanée et ancrée dans un rapport direct avec les gestes et le format. Mais ces nouveaux outils nécessitent une grande maîtrise, un apprentissage rigoureux lors de leur prise en main.

L’artiste Cai Guo est connu pour ses œuvres à la poudre à canon « gun powder » en anglais ainsi que ses événements d’explosion qu’il documente par des vidéos et photographies. Il a commencé à utiliser la poudre à canon dans son travail pour favoriser la spontanéité et s’échapper de la tradition artistique contrôlée en Chine à l’époque. Alors qu’il vivait au Japon de 1986 à 1995, Cai a exploré les propriétés de la poudre à canon dans ses dessins, une exploration qui a finalement conduit à son expérimentation avec des explosifs à grande échelle et au développement de ses événements d’explosion signature. Il a introduit de la poudre à canon enflammée directement sur ses toiles d’huile, qu’il a positionnées horizontalement sur le sol. Il termine en allumant des fusibles, enflammant la poudre et créant de fortes détonations et des éclairs de feu, qui ont ensuite disparu dans des nuages de fumée. Avec pour résultat une surface texturée aux allures d’explosion, noircies et carbonisées. (Figure 6)

Ce processus lui permet d’abandonner le contrôle, ce qui a pour résultat des compositions formées par les marques aléatoires d’étincelles et de fumée. « I loan for an artistic medium that could help me free myself and lose control »6. Cette recherche de perte de contrôle par le processus et l’outil enrichit ses œuvres. Mais sa liberté dans la démarche de création reste néanmoins supervisée et maîtrisée. Une technique, complexe et imprévisible dans son résultat et sa mise en place demande un savoir-faire et une technique rigoureuse pour obtenir un résultat exploitable. « My creation forever oscillates between creation and destruction, control and freedom ». Cette idée de vaciller entre contrôle et liberté résume assez bien cet engagement que possèdent les artistes qui veulent sortir du schéma courant de création, se remettre en question, se laisser guider par leur art puis reprendre les rennes.

Une seconde technique qui pourrait illustrer ce travail, est la technique du pouring (to pour en anglais signifie déverser, émettre en un ruissellement, faire ou laisser un liquide s’écouler hors d’un récipient , mais également répandre ou verser abondamment), souvent confondu à tort avec celle du dripping (signifie laisser un liquide tomber gouttes à gouttes, donc égoutter).

En effet ces deux termes ne définissent pas la même technique,mais ils partagent cet aspect de laisser la matière libre et vivante dans la création. Là où le dripping n’implique pas d’action spécifique de l’artiste, le pouring quant à lui, demande à l’artiste de répandre la peinture sur la toile avec des gestes dynamiques et incarnés. Ce courant artistique, mené par des artistes comme Jackson Pollock dans le cadre de l’action painting, a brisé les barrières traditionnelles de la peinture, celle-ci est projetée brutalement, déversée, triturée, éclatée directement sur la toile (Figure 7).

Cette technique met l’accent sur le geste spontané de l’artiste et l’importance du processus créatif plutôt que la représentation fidèle de la réalité. Dans la même dynamique que Cai Guo, l’artiste laisse son médium s’exprimer sans le contraindre. La distinction entre la pratique de ces deux artistes sont les outils. Jackson Pollock dans sa création utilise des outils tout à fait ordinaires. Muni d’un pinceau et d’un seau rempli de peinture il vient tapisser sa toile, mais c’est l’usage qui l’en fait qui rend cette technique intéressante, le pinceau vient se gorger de peinture à l’excès, et par la suite, avec un mouvement vif de la main, vient frapper la toile.

Ça peut nous aider à nous questionner sur l’importance de l’outil et de la maîtrise de celui-ci dans la perspective d’une création originale, mais également leur usage, la surprise du résultat peut résider dans la forme de l’outil mais aussi dans l’utilisation qui en est faite.

Nous pouvons également nous interroger sur la corrélation entre l’outil et le format sur lequel il va agir. Les références présentées précédemment nous présentent un travail sur du grand format, où l’outil doit être réfléchi pour créer des marques des traces importantes. L’outil peut-être réfléchi avec le format sur lequel il va créer, dessiner, tracer, couler… La poudre à canon peut être dispersée sur la toile, la peinture peut être projetée. Tout dépend de ce que l’artiste veut représenter, retranscrire. Prendre un objet ordinaire, un vulgaire pinceaux, utiliser un médium qui ne sert pas naturellement à ça ou encore créer son outil si aucun ne nous satisfait.

Des outils bricolés, voilà qui définit bien le travail de l’artiste, calligraphe français, Julien Priez alias Boogy Paper. Son exposition Boogy Show7 (Figure 8) présentée en 2023 illustre sa pratique hétéroclite de la typographie. Elle explore son travail par le dessin, l’espace et le temps. Le spectateur se retrouve dissimulé au sein de lettres monumentales, des lettrages muraux impressionnants qui nous forcent à observer la trace de ces lettres hors format. Julien priez est un « assembleur obsessionnel »8 un « grillomane »8, qui, en opposition avec son passif de graffeur, apprécie le dessin de lettre dans des grilles plus ou moins denses. Construire des lettres modulaires de par la grille qu’il utilise et également par ses outils. Les lettrages muraux qu’il construit sont créés avec ses propres outils, des outils bricolés pour le tracé sur grand format. On peut citer son pinceau ajustable, qui peut comporter jusqu’à neuf pinceaux en un seul manche.

« Ma vision pour l’utilisation de ces modules est de montrer les combinaisons possibles de motifs »9. Le spectateur peut suivre le tracé qui a été effectué pour créer la lettre qu’il observe, chaque coups de pinceaux, de son début de tracé noir et dense, à sa fin, grisée et texturée par les poils des pinceaux.

On se retrouve face à des lettres complexes et ornementales. « L’idée de ces expérimentations est de tenter des choses pour ensuite réfléchir sur le résultat et voir jusqu’où cela peut nous mener. Ces recherches m’ont ensuite servi pour un projet en cours de développement pour les écrans. »9. L’aspect expérimental des travaux de Julien Priez pousse sa pratique vers une évolution, une réinvention et de nouvelles découvertes sur le tracé de lettres. Son travail à la main, pousse sa création vers l’inattendu, la surprise d’une erreur de tracé, un surplus de peinture…

« Ce qui m’intéresse dans cette écriture ornementale, c’est d’être étonné par des accidents heureux. »7

Dans le cadre de cette exposition, l’investissement de l’espace ne se limite pas à un simple support pour ces créations monumentales : il devient un acteur à part entière de la composition. Julien Priez s’immerge dans les lieux, laissant leur architecture et leur volume guider son processus créatif. Les murs, les angles et les perspectives influencent directement la manière dont il déploie ses lettres, jouant avec les contraintes et les potentialités offertes par chaque surface.

Cette interaction transforme l’espace en une scène immersive où le spectateur est à la fois contenu et exposé. En parcourant les lettrages muraux, le public ne voit pas seulement une œuvre : il expérimente un dialogue entre le geste, la matière et l’environnement. Chaque pièce révèle une tension entre maîtrise et spontanéité, où l’accident ou l’imperfection devient une extension du lieu investi.

L’importance de cette exposition réside dans sa capacité à faire coexister l’intimité du tracé artisanal et l’échelle imposante des créations, questionnant ainsi la perception de la lettre comme simple objet graphique. Le geste de Julien Priez, amplifié par ses outils bricolés et ses recherches formelles, s’inscrit alors durablement dans les espaces qu’il investit, les marquant de son langage visuel unique.

  1. 2.b.S’imprégner d’un lieu pour déclencher, contraindre, influencer la création

L’espace peut devenir un réel déclencheur dans le processus créatif et la création en elle-même. Investir un lieu pour créer, se restreindre dans cet espace, se donner des contraintes et des obligations, voilà qui pousse à une manière particulière de concevoir la création. Un artiste peut se laisser hypnotiser par ce qui l’entoure, se laisser happer par ce qu’il voit, tous ses ressentis peuvent être exploités et cultivés.

On peut aborder notamment le travail de l’artiste sud-coréenne Ji-Young Demol Park, qui dialogue avec la nature lors de ses projets et réalisations. Elle s’échappe en montagne munie de son matériel de dessin, encre de chine, calame10, leporello, carnets, pinceaux, ainsi que d’autres éléments qu’elle va recueillir sur place (branches, neige, lichen…) pour représenter de manière calligraphique les sommets. Elle fait de nombreux croquis qu’elle va, une fois rentrée dans son atelier, réutiliser pour les développer en grand format par la technique du lavis11.

Elle explore les grands formats en les décomposant dans le temps, ne peignant qu’une partie de l’espace de la toile, des espaces blancs sont laissés pour « aérer », laisser respirer la toile, mais aussi pour imaginer, stimuler le spectateur pour se laisser aller.

Ce blanc fait flotter le dessin, le spectateur observe une projection, un rêve dans cette épaisse brume blanche qui semble cacher une partie de la toile. Le ciel d’un blanc éclatant se confond avec le sol qui semble enneigé jusqu’à en devenir hypnotisant.
Ce jeu avec l’espace qu’elle retransmet dans ses tableaux, elle l’expérimente sur place directement.

Cette artiste arpente les massifs pour retransmettre au mieux les panoramas qu’elle rencontre, avec une envie de rendre hommage aux beaux paysages.

Ji Young, face aux reliefs, laisse son instinct la guider dans ses esquisses, en utilisant un morceau de mousse pour éponger une texture, une branche de bois pour créer une ligne d’horizon vivante et oscillante ou encore diluer son encre avec de la neige qu’elle applique directement sur son papier. Une façon personnelle de retranscrire une vision et une passion forte. Les paysages qui l’entourent envoûtent son travail et le font évoluer. Elle devient un élément du paysage, se fond dans les éléments qui l’entourent jusqu’à devenir invisible.

Lors de mes expérimentations je me suis inspirée du travail de cette artiste, travailler avec ce qui nous entoure pour nous en imprégner et créer avec ces éléments.

Ayant passé mon enfance en station de ski, la montagne est précieuse pour moi, Il m’est souvent arrivé dans mes projets lors de ma formation de la représenter.

J’ai donc souhaité continuer à explorer ce champ très vaste. Pour ce projet je désirais travailler sur un grand rouleau de papier que j’allais revêtir de traces faites dans la montagne lors de randonnées. Une empreinte de roche au fusain, un paysage dessiné à l’aide d’une branche, capter une ombre et la décalquer sur le papier... Tous ces fragments de montagne ont créé un paysage sensible des lieux visités, un paysage sensoriel. Après ces balades je me suis penchée sur cette fresque à nouveau pour dessiner un second plan plus illustré, représentant les vues que j’ai rencontrée, les végétaux...

C’était très important pour moi de me mettre dans des conditions de créations contraintes (avec le matériel trouvé sur place), expérimenter de nouveaux outils et techniques et voir du potentiel tout autour de moi. Cette expérience a libéré ma pratique une fois sur place, la contrainte m’a aidée à sortir de ma zone de confort et m’a poussée à expérimenter des idées que je n’aurais jamais envisagées autrement. (Toutes les images de ce projet se trouve en annexe page 74)

Dans cette volonté de s’imprégner d’un lieu jusqu’à l’incarner, on retrouve l’artiste Keith Haring. Son art est marqué par une accessibilité directe et une iconographie universelle. Haring a souhaité rendre l’art accessible au plus grand nombre et a utilisé des lieux publics pour atteindre un large public en dehors des galeries.

Son travail explore aussi des questions d’identité, de communauté et d’activisme. Son style est immédiatement reconnaissable par son énergie, son dynamisme.

Lors d’un shooting pour la photographe Annie Leibovitz en 1986, Keith Haring peint une pièce complète de ses motifs. Cette dernière, totalement blanche, ornée d’épais motifs en tracés noirs effacent la tridimensionnalité des éléments présents. La photographe lui demanda s’il s’était déjà peint lui-même, ce sur lequel il répondit que non, jamais. Il souhaitait tenter l’expérience. Le cliché pris par le photographe et relayer par les médias fut celui de l’artiste Haring totalement nu, son corps entièrement recouvert de motifs noirs et blancs qui reprennent son iconographie caractéristique vue en arrière-plan de la photographie. (Figure 9)

Un artiste caché dans son propre décor, en symbiose avec son art. Comme disparu de la photo, l’artiste devient meuble de la pièce, un objet statique que personne ne remarque.

La photographe Leibovitz a pu prendre un cliché de l’artiste dans une position où il semble prêt à bondir, immobile, un arrêt sur image. En inondant l’espace et son propre corps de son art, Keith Haring brouille la frontière entre l’artiste et l’œuvre d’art.

Cette photo a été interprétée comme un autoportrait qui expose Haring, un artiste faisant partie intégrante de son œuvre, vivant et vibrant à travers elle.

Cette image est devenue iconique, car elle résume bien l’essence de Keith Haring, dont la vie et le corps même étaient indissociables de son art, qui ne faisait pas de différence entre son existence personnelle et sa création artistique.

La passion de l’art pousse l’artiste à s’oublier derrière son travail. L’artiste entretient avec son œuvre une relation intime et insécable, sa création devient un prolongement de lui-même, une extension de son corps, ses pensées, ses émotions et sa vision du monde. Cela devient un moyen d’exister et de s’exprimer plus loin que les mots. L’œuvre et l’artiste ne font qu’un, l’œuvre exprime la pensée de son créateur.

Ce rapport peut être si profond que l’artiste s’oublie derrière son travail, laissant son œuvre parler pour lui. L’acte créatif dépasse alors la simple recherche esthétique pour devenir un processus de révélation de soi, où l’artiste et l’œuvre se confondent. Exprimant une spiritualité, une connexion intense et parfois instinctive entre l’intention et la matérialité.

Lorsqu’un artiste s’immerge dans un lieu, son travail dépasse la simple action de création pour dialoguer avec l’espace qui l’entoure.

L’architecture, les matériaux et les proportions du site deviennent des éléments actifs dans le processus, influençant tant la forme que le sens de l’œuvre. Ce type d’approche transforme l’espace en un territoire à investir, à interpréter, voire à révéler, invitant le spectateur à vivre une expérience immersive où l’œuvre et le lieu ne font plus qu’un.

L’émergence des résidences d’artistes dans les quarante dernières années et son adoption par une multitude de lieux au tournant du siècle dernier, placent cette pratique au cœur de la création contemporaine. Les artistes sont désormais sollicités à investir des contextes aussi variés qu’étonnant, tout en bénéficiant de conditions d’accueil diverses. La prolifération du modèle de résidence est telle que certains la surnomment le « Airbnb de la création »12.

Si l’expression résidence d’artistes semble aller de soi, aucune définition ne fait pourtant l’unanimité.

Ne se limitant plus aux arts visuels et à la littérature, la résidence s’étend à l’architecture, à la danse et au théâtre, en investissant une multitude de lieux. Ces déclinaisons se voient ainsi multipliées et le sens, dilué. Souvent ancrée dans la communauté d’accueil, elle permet à l’artiste d’explorer de nouvelles pistes artistiques, d’effectuer du réseautage et de mettre à l’épreuve sa pratique.

Ces éléments uniques et spécifiques de la résidence incitent les artistes à expérimenter, à se renouveler et à produire des œuvres qu’ils n’auraient peut-être jamais pu imaginer ailleurs.

Il est intéressant de noter que la résidence se présente ici à la fois comme un outil de soutien à la production et un moteur de création. Une résidence artistique peut devenir une véritable enclave, un espace isolé où l’artiste est à l’écart du quotidien, libre de se concentrer uniquement sur la création.

À l’image du processus artistique, la résidence demeure un moment opaque. Dans le podcast The Artist Residency13, Daniel Baumann souligne avec justesse la nature paradoxale de cette formule qui tente de saisir l’insaisissable en planifiant la spontanéité au sein d’une bulle créative… En offrant aux artistes un espace et un temps de création définis, les lieux d’accueil permettent non seulement à la magie d’opérer, mais ils la positionnent afin de mieux en témoigner.

La résidence artistique devient un incubateur de création, où l’artiste est coupé du monde extérieur, extirpé de son quotidien et peut se focaliser sur son art et ses créations. Il passe un moment hors du temps qui lui permet de se libérer des contraintes et de charges extérieures pour ce recentrer sur lui, une réelle introspection sur sa création, l’artiste peut rentrer dans un état méditatif où seul son art le préoccupe et l’anime.

  1. 2.c.Vivre et recevoir le grand format

Le grand format, dans le domaine artistique, dépasse la simple notion de dimension pour s’affirmer comme un espace d’expérience. En s’imposant par sa monumentalité,
il modifie la manière dont une œuvre est perçue et vécue.

Contrairement aux formats plus modestes, qui appellent souvent une contemplation à distance, le grand format enveloppe le spectateur, sollicitant non seulement son regard mais aussi son corps et son esprit.

Ce type d’œuvre engage une immersion physique, car il requiert du spectateur qu’il adapte son mouvement pour en saisir l’ensemble. L’approche est différente : il ne s’agit plus de simplement voir, mais de vivre l’œuvre. Chaque déplacement ou changement de perspective révèle de nouveaux détails et intensifie l’expérience sensorielle. Le spectateur devient une partie intégrante de l’œuvre, impliqué par sa présence dans l’espace qu’elle occupe.

L’échelle joue ici le rôle d’un langage créatif à part entière. Les artistes qui travaillent sur ce type de format utilisent la taille comme un moyen de transformer la perception et d’engendrer une interaction particulière avec le public.

Le mouvement du Color Field Painting se caractérise par de grandes toiles où dominent les aplats de couleur. L’artiste peintre Joan Mitchell est l’une des figures de ce mouvement . Ses œuvres en grand format plongent le spectateur dans un champ de couleurs vibrantes, l’absence de narration laisse place à une expérience émotionnelle brute.

En se retrouvant face à une toile gigantesque, le spectateur contemple une composition colorée mais avant tout se retrouve immergé dans un espace pictural où son regard et ses sensations dialoguent avec l’œuvre.

Le grand format devient un vecteur d’expériences immersives. Mais cette grandeur soulève également une question essentielle : comment le spectateur interprète-t-il, s’approprie-t-il cette rencontre avec l’immensité visuelle ?

C’est cette expérience unique, qui fait du grand format un médium si puissant dans le paysage artistique contemporain.

L’artiste Bernard Frize depuis plus de quarante ans, met au point des protocoles pour réaliser des tableaux sans objectif visuel précis. Pour l’artiste le processus de peinture est plus important que la qualité esthétique de l’œuvre terminée. LeWitt14 décrivait son travail comme dépourvu de toute émotion, car il considérait que son exécution lors de ses créations s’apparente à celle d’un robot, d’une machine. Il ne véhicule aucune symbolique derrière ses œuvres, elles sont faites pour être contemplées sans réfléchir à leurs sens, leurs messages…

Nous avons abordé le grand format avec des œuvres en aplats, nuances colorées et abstraites mais que se passe t-il si on applique le grand format aux mots, aux lettres, la découverte d’un langage sur-dimensionné. Nous sommes habitués à croiser des mots en grands format au quotidien sur les panneaux, affiches publicitaires, mais ces affiches ont un but très précis, la lisibilité. Si nous ne cherchions plus la grande lettre pour être lu de tous mais pour être observé, contempler, que cela donnerait-il.

Cette expérience, Malte Martin l’a menée en 2022 avec le collectif Mots Voyageurs. La création d’un voyage graphique, linguistique et poétique qui explore le métissage de la langue française à travers l’histoire de mots ayant voyagé avant de devenir communs.

Il évoque les apports des autres langues et cultures à la langue française, en mettant en lumière les mots partagés par tous.

Tisser-Métisser, une forêt de kakemonos réalisée avec les créations typographiques des membres du collectif, des artistes invités et des contributions des habitants (Figure 10).

Réunissant une centaine de mots, interprétés à travers une centaine de graphismes, l’installation prend la forme d’une forêt de drapeaux abrités au cœur de la rue couverte de la Condition Publique. Cette œuvre est le résultat des ateliers menés à Roubaix depuis juin 2022, ayant réuni près de mille participants, notamment des groupes scolaires, des collégiens, des lycéens et des centres sociaux.

L’objectif était de redonner une voix aux mots dans la ville, en les amplifiant pour créer un « vacarme poétique », une sorte de résistance aux bruits fonctionnels et marchands. La typographie est au cœur du projet et constitue un élément central de son impact visuel. (Analyse de Métier-Tisser de Malte Martin en annexe page 66)

Les mots prennent une dimension physique impressionnante : ils sont agrandis à une échelle hors norme, occupant des murs, des sols ou des façades entières.

Cette amplification donne une présence imposante aux mots, en transformant l’espace en une gigantesque page blanche. Les mots sont déconstruits, éclatés, fragmentés ou mis en perspective, simulant une vibration visuelle. (Figure 11)

En jouant sur la taille et la disposition des mots, le projet incite les passants à modifier leur comportement. S’ils sont placés au sol, les mots obligent les passants à ralentir ou à s’arrêter pour lire. En étant surélevés, ils forcent à lever le regard. Cette interaction rend l’expérience graphique participative et engage physiquement le lecteur. Le mot ne représente plus uniquement un sens, une signification mais il devient objet de contemplation et de rêverie. Son rôle a été modifié pour devenir sujet d’admiration.

Ce projet ouvre la voie à une réflexion plus large : que se passe-t-il lorsque l’on s’affranchit des normes du signe typographique ? Lorsque la lettre, libérée de son rôle utilitaire, devient geste, trace, ou encore objet ? C’est cette exploration de la typographie en tant qu’expression libre, affranchie des conventions de lisibilité, que nous aborderons dans le prochain axe.

  1. 3.S’affranchir des codes du signe typographique
  1. 3.a.Le système universel de l’alphabet, un signe typographique bien calibré

Les caractères alphabétiques sont unifiés pour être reconnus de tous, compris et déchiffrés en une fraction de seconde.

L’alphabet comme nous le connaissons en tant que système universel de communication, doit avoir des spécificités pour garder cette facilité de compréhension par la personne qui le regarde. Il ne doit pas être un obstacle, mais plutôt tout faire pour être le plus clair possible, des lettres sur les panneaux de signalisation sans empattement, avec de très faible plein et délié pour être lisible et clair à première vue.

Pourtant cet alphabet de signes qui permet aussi l’expression peut prendre plein de formes riches et variées.

Cette partie va s’intéresser à l’enrichissement du signe, comment sortir du signe de la lettre telle qu’on la connaît depuis l’enfance. Que ce soit par le processus de création, la déformation, l’attribution de contraintes, ou de valeur aux lettres et signes, en passant par la redéfinition du geste qui en est le déclencheur.

Le livre d’Adrian Frutiger, Des signes et des Hommes15, explique la découverte des signes dans la vie des hommes, comprendre et concevoir le signe, la fixation de la langue par le signe et l’évolution de ce signe en symbole, marque ou encore signale.

La partie qui nous intéresse principalement est celle sur la fixation de la langue par le signe, comment un signe peut devenir universel ou du moins s’accorder pour une population entière et faire partie de l’apprentissage local.

Le dessin préhistorique témoigne un langage explicatif, rituel et narratif fait de signes. Les images se sont par la suite transformées en écriture, figeant la pensée et la parole, abolissant les barrières temporelles et permettant une relecture.

Il y a deux types d’évolution de l’écriture : les écritures restées figuratives (exemple : les hiéroglyphes égyptiens). Et une seconde forme d’écriture est apparue dans le monde, cursive, avec une distinction entre voyelles et consonnes.

Nous allons nous concentrer sur l’alphabet occidental, comment la création de ces lettres font signe et se sont développées pour être connues de tous. L’écriture est donc devenue un moyen de communication universel, il y a 2000 ans l’écriture et la lecture étaient le privilège d’une infime minorité,

Aujourd’hui tout le monde possède le droit de s’instruire et en a même le devoir en république occidentale.

Cette démocratisation du savoir est liée aux transformations de l’alphabet ainsi qu’à l’apparition de nouvelles techniques, procédés d’impression et de reproduction plus rapide, rendant la lecture et l’écriture bien plus accessible.

L’énorme diffusion de l’écriture à contribuer à unifier sa forme. Aujourd’hui l’écriture latine tend à se normaliser sur le plan international. Le caractère est devenu utilitaire, sa structure assure un confort de lecture pour le lecteur qui va déchiffrer le caractère très rapidement. Il doit atteindre un public large et poser le moins de résistance possible pour être déchiffré en un minimum de temps.

On serait tenté de dire que la lisibilité optimale ne s’applique qu’à une seule écriture, un prototype universel de caractère, or c’est le squelette de la lettre qui va être déchiffré.

Pour une bonne lecture il faut que ce squelette soit nettement identifiable derrière une enveloppe plus libre. Si l’innovation est trop marquée et se détache trop fortement du squelette, elle suscitera chez le lecteur une réticence lors de la lecture.

En superposant toutes les typographies les plus utilisées pour un texte quel qu’il soit, on se rend compte que le squelette de l’écriture va apparaître, leurs points communs apparaissent (Figure 12). On constate par exemple que les empattements ne sont pas forcément nécessaires pour la compréhension d’un caractère, tout comme les gouttes… Le squelette se rapproche d’une typographie sans sérifs, à faible pleins et déliés, sans ornement.

Mais le signe, la lettre, peuvent être considérés pour autre chose de leur utilité à transcrire un message. Nous pouvons utiliser la lettre pour ses formes, son esthétique, ses détails et questionner sur son rôle. Questionner aussi son uniformité, comment sortir ce caractère de ses carcans de créations et de lisibilité.

Nous avons décrit précédemment les conditions de lisibilité de ce caractère typographique, son squelette simple et reconnaissable de tous, en deux dimension de couleur opaque et unis.

Lors d’un échange avec la typographe Laurette Colmard, j’ai pu aborder ces notions de création typographique, les attendus, les demandes ainsi que les règles. J’ai évoqué avec elle également, comment elle parvient à remettre en question sa pratique notamment pour un projet de création typographique sur le graffiti. « En ce moment, je suis dans cette recherche du ductus et je cherche à comprendre l’ordre dans lequel les graffeurs travaillent. [...] Du coup, je passe mon temps à photographier des choses dans la rue et à comprendre les logiques et les structures sous-jacentes aux gestes. Parce qu’ici, on est vraiment dans le geste. ». Elle explique qu’elle doit totalement désapprendre sa manière d’appréhender la lettre et de la dessiner pour essayer de s’approprier les codes du graffiti.

« Je désapprends tout ce que j’ai appris en calligraphie, notamment sur les ductus qui n’ont rien à voir avec les graffitis, puisque le motif est différent entre la plume et la bombe, bien évidemment. Mais aussi sur le rythme, la forme et la contre-forme, qui n’existent plus ici. Je me débarrasse de toutes les notions que j’avais intégrées, comme l’équilibre entre les blancs et les noirs dans la fonte de textes. Là, ça n’a rien à voir. Donc, tout ce que je savais et maîtrisais, je l’enlève et je repars de zéro. »

Laurette se met dans une posture d’observateur, elle doit essayer de systématiser un geste pour créer un alphabet cohérent. Dans ce travail, elle doit observer et comprendre les grandes règles de la création de graffitis pour les retranscrire dans sa création typographique. (Cet échange se trouve en annexe page 77)

  1. 3.b.Le tracé pour envisager l’anatomie du caractère

Le ductus est le tracé, le schéma, la chorégraphie effectuée par la main pour dessiner une lettre. On retrouve ce terme notamment en calligraphie, où, l’usage de la plume contraint le geste et des étapes pour la création d’une lettre sont nécessaires.

Ce sont ces étapes qui constituent le ductus de la lettre, l’écriture est codifiée, dictée. Un sens lui est donné, on retrouve plus généralement cet apprentissage dans les salles de classe, où, pour apprendre à tracer les lettres, les élèves se voient recevoir un didacticiel du dessin de lettres, faire la panse du « d » en commençant par le haut puis en partant de la ligne ascendante pour redescendre avec le crayon pour créer le fût de la lettre. Il y a un ordre dans le dessin de lettres. « Tracer une lettre nécessite en amont l’analyse du geste qu’il sous-tend »16. Mais, il y a, pourtant, une manière infinie de créer ces caractères.

Quel va être le résultat si le designer se concentre sur le dessin de la lettre, le chemin qu’il emprunte et non sur son objectif de lisibilité du caractère. Le processus devient le plus important et non le résultat, c’est ce chemin qui va être étudié, modifié, étiré, transcendé jusqu’à obtenir du signe, mais pas forcément du signe typographique.

Un signe qu’on ne comprend qu’en ayant assimilé le processus vers lequel il découle. Faire la découverte de l’invisible derrière l’écriture, la partie immergée que tout le monde pratique sans la percevoir. Nous allons pour y répondre aborder le travail de différents designers qui s’approchent de la trace de la lettre pour en faire ressortir un nouveau langage de signes sensibles et incarnés.

Felix Farjas est un designer typographe diplômé de l’école Estienne qui s’est intéressé au ductus et la trace de la lettre, le geste humain derrière ces caractères.

Pour son mémoire de fin de diplôme, il s’est donc penché sur l’écriture, et plus particulièrement, l’écriture sans surface. « L’écriture peut-elle s’affranchir de la trace, et donc de la surface? »17. Il explore l’implication du geste dans plusieurs domaines très hétéroclites pour ensuite le recentrer sur l’écriture. Son but est d’étudier le rapport entre le geste et l’écriture manuscrite. Pour cela il aborde dans un premier temps le ductus de la lettre.

Il explore ce ductus à l’aide du light painting, en collant une lumière sur sa main, il filme sur la longue durée sa main en train d’écrire, et par la suite ne gardant que le chemin parcouru par la LED. (Figure 13)

Il découvre une toute nouvelle écriture, complètement indéchiffrable. Sans interruption, les lettres s’emmêlent non seulement entre elles, mais aussi avec les moment où il reprend de l’encre sur sa plume.

Les nouveaux outils de recherche, technologies, procédés… permettent une réelle démocratisation de la recherche du geste. On ne s’intéresse plus à l’aboutissement mais aussi au processus pour y venir. Le geste avant la création terminée, fixé dans le temps et l’espace, et cet enrichissement dans la conception typographique ne cesse de nous faire découvrir de nouveaux biais de création, et libère aussi les productions. S’intéresser au ductus de la lettre, c’est s’intéresser à la manière de concevoir plus qu’au résultat qui va en découler. Penser le signe avec l’espace et le temps. C’est pratiquement un regard scientifique qui est apporté à cette création de signe typographique, un schéma de création, une étude des mouvements qui proviennent de la lettre, l’origine de la trace.

Mettre en corrélation le corps, le signe et le trait peut mener l’artiste, le designer à des résultats complètement inattendus.

On retrouve le travail de Catherine Zask, avec son projet créé lors de sa résidence à la villa médicis, Alfabetempo (Figure 14) « my craft is completely determined by my desire for words, words for me always lead to images »18. un système de notation expérimental basé sur la décomposition des rythmes des traits de lettres. Ce travail a poursuivi la recherche qu’elle avait commencée dix ans plus tôt sur la lettre, le traçage et le signe. « Alfabetempo est basé sur la décomposition des temps du tracé des lettres. Pour un R, par exemple : trois temps. Un trait, une boucle, un trait.

Créé en 1993, lors de mon séjour à la Villa Médicis (Académie de France à Rome), ce travail est le prolongement d’une recherche engagée dix ans auparavant autour du tracé, du signe, de l’écriture. Si, avec Alfabetempo, j’ai dépecé la lettre jusqu’à l’os (les temps du tracé), c’est simplement parce que les lettres (donc les mots, le texte, le sens) ont toujours été pour moi le meilleur des moyens pour chercher »19.

Dans cette police de caractère, créée manuellement, Catherine Zask, vient, à partir d’une lettre lisible de tous, créer un signe abstrait que seul, les personnes qui connaissent son mode de fonctionnement et elle, peuvent décrypter et comprendre. Un nouvel alphabet inédit, +i célèbre le tracé de chaque lettre. (Figure 15)

L’essence même de la lettre se fait dans son tracé, sa construction… Ces artistes, cités précédemment, observent le signe comme objet mouvant, variable, soumis aux gestes qui lui sont liés. Le geste et la retranscription des mouvements par la typographie, pose question sur la manière dont le geste influence l’esthétique de la lettre ou du signe. Ainsi que sur la dimension expressive et dynamique de la typographie.

Afin d’expérimenter cette liaison entre geste, outils et format, j’ai pu réaliser un atelier de création typographique grand format avec ma classe de troisième année de DN-MADe.

Son but était d’appréhender le dessin de caractère avec des outils créés de toute pièce. Pour cela les étudiants ont pu dessiner avec de l’encre de chine tous styles de lettres sur une grande surface de papier installée au sol, en se munissant des outils qui étaient mis à disposition. Le but était de déclencher une nouvelle approche du dessin typographique, créer avec cette imprévisibilité de la trace lié aux outils. Ils ont dû s’engager physiquement dans ces dessins grâce aux outils mais aussi au format, le grand format ne contraint pas la création, ils étaient libre de dessiner où ils le souhaitaient, dans le sens qu’ils préféré avec la position qui leurs convenait le mieux. (Les photos de l’atelier se trouve en annexe page 72)

Les participants étaient déjà expérimentés dans le domaine de la typographie grâce à leur formation initiale. Ils ont appris avec le DN-MADe à se libérer dans leur processus créatif. Ils n’éprouvaient donc aucune réticence à explorer et à s’engager pleinement dans l’acte de dessiner, même avec des outils inhabituels.

Ces acquis préalable ont permis à l’atelier de se focaliser sur l’approfondissement du rapport entre le corps, l’outil et le format. On constate des gestes libérés, chacun à pu prendre en main les différents outils et tester sa trace sur le papier, le demande très libre ne les a en aucun poser problème. La réussite de cette atelier, qui a été très bien reçu par les étudiants, peut s’expliquer aussi par leurs connaissances dans ce domaine. Il pourrait y avoir une appréhension, un blocage pour des personnes qui ne seraient pas habituer à lâcher-prise, il faudrait alors peut-être effectuer un travail en amont avec ce type de publique pour aider à se libérer dans la création.

Mais comment est-ce que l’outil peut retranscrire une énergie de l’instant, et comment l’usage de ces outils peut complètement modifier notre vision et notre pratique de la typographie ?

Cet atelier, dans sa mise en place, et dans sa réalisation a été très enrichissant, et m’a permis d’encadrer un groupe vers cette recherche de lâcher-prise et de constater comment ce processus créatif original va être accueilli par d’autres créatifs.

  1. 3.c.Une lettre expressive

Comme mentionné précédemment, la lettre est traditionnellement un outil de communication dont la fonction principale est d’être lisible et neutre au service de la lecture. Cependant, elle peut, à travers divers processus, devenir un objet d’exploration visuelle et expressive. Certains artistes et designers contemporains dépassent cette fonction utilitaire pour interroger l’importance et le rôle esthétique de la typographie.

Par des approches picturales, ornementales ou abstraites, ils offrent à la lettre une nouvelle dimension où la lisibilité n’est plus une contrainte, mais un paramètre malléable et exploitable. Cette partie explore comment ces pratiques transforment le signe typographique en une identité à part entière, où le regard prime sur la lecture.

Les artistes Mathias Schweizer et le studio M/M Paris redéfinissent les frontières de la typographie en la métamorphosant en un objet organique. Leur travail interroge la fonction première de la lettre, conçue pour être lisible et transmettre une information de manière claire et immédiate. Ils rendent la lisibilité complexe mais possible, au profit d’une exploration plastique et expressive.

Chez Mathias Schweizer, par exemple, la lettre cesse d’être un simple outil fonctionnel pour devenir une texture, une couleur, un objet. Il attribue une matière à la lettre, questionnant ainsi la lecture et complexifiant les caractères jusqu’à frôler l’illisibilité. Dans son affiche pour l’exposition Antidote 4 à la Galerie des Galeries à Paris de octobre à décembre 2008 (Figure 16). Certaines lettres prennent une dimension tridimensionnelle, un aspect rarement observé dans le quotidien où la lettre est généralement perçue comme un simple aplat en deux dimensions.

Dans cette production, la lettre devient vivante, un objet en forme de caractère, perturbant profondément la lecture. Elle évolue en une matière colorée, détachée de sa fonction première, pour devenir un élément purement visuel.

Le studio M/M Paris, quant à lui, enrichit cette démarche d’une dimension narrative. Pour eux, la typographie n’est pas seulement un support de texte, mais un acteur graphique à part entière, capable de raconter une histoire par sa forme, ses interactions et sa présence dans l’espace. Leur approche questionne également la temporalité de la lecture : leurs créations typographiques, parfois illisibles au premier regard, demandent une attention prolongée, invitant le spectateur à une expérience immersive. Leur univers visuel, souvent en noir et blanc, est marqué par une saturation graphique : un excès de signes et une profusion de détails qui complexifient l’acte de lecture.

« Le langage visuel qu’ils ont patiemment bâti arbore une certaine inclination pour la saturation, autrement dit l’excès de signes et l’encombrement de l’image. »20

Un exemple notable est leur projet The New Alphabet (Figure 17), réalisé en 2016. Cet alphabet fusionne un caractère simple, mono-chasse et noir, avec des illustrations détaillées en noir et blanc. Ces compositions intègrent des personnages où un visage émerge d’une contre-forme, et un fût peut devenir une jambe.

Malgré cette richesse visuelle, la base du caractère reste visible en arrière-plan, peut-être pour maintenir une certaine « lisibilité ». Cet alphabet, qualifié d’anthropomorphe (évoquant des formes humaines), joue sur les notions d’anatomie de la lettre et du corps de caractère. Ce qui est frappant ici, c’est la capacité à concevoir des lettres en incorporant des éléments complètement extérieurs au domaine typographique, tels que des formes humaines. Cela montre à quel point la typographie peut transcender ses frontières habituelles et s’inspirer de sources inattendues pour se renouveler.

À travers cette œuvre et d’autres projets, le duo M/M Paris réinvente les normes typographiques, en associant la lettre à d’autres disciplines pour lui offrir de nouveaux aspects et une silhouette renouvelée.

Ainsi, cette réflexion met en lumière comment la typographie, en s’affranchissant de son rôle traditionnel, devient un champ d’expérimentation où l’esthétique et l’expressivité priment sur la fonctionnalité pure. La lettre se transforme en un jeu visuel, un terrain d’investigation où lisibilité et abstraction coexistent, offrant de nouvelles manières de percevoir et de ressentir le langage.

  1. 3.d.Le vernaculaire comme pratique expérimentale pour enrichir le signe

Le mot vernaculaire dérivé du latin vernaculus qui désignait tout ce qui était dressé (esclaves compris), élevé, tissé, cultivé, confectionné à la maison, par opposition à ce que l’on se procurait par l’échange. Le sens de ce mot dans son emploi de typographie vernaculaire, relève d’une création typographique propre à un endroit précis. Qui reprend les éléments d’un lieu, ses traces, sa langue, ses coutumes… Une typographie ancrée dans un espace qui a été révélateur pour sa création.

Comme exposé précédemment dans la deuxième partie sur le format et l’espace,
le lieux de création peut être un réel déclencheur pour l’artiste, lui poser des contraintes dans l’espace, innover ses outils, ou à contrario le libérer d’obligations trop normées et conventionnelles, comme l’atelier ou la salle de classe.

Cette manière de fonctionner se retrouve avec la création en général, écrire dans un lieux précis pour s’imprégner de cet endroit, ou bien, peindre face à la montagne, mais ce processus peut aussi s’appliquer à la création typographique et dans de nombreux cas lui être bénéfique.

La création peut s’inspirer des formes graphiques issues de la vie quotidienne, comme les enseignes commerciales, les affiches faites à la main, les panneaux de signalisation, etc.

La pratique du design vernaculaire revendique une esthétique ancrée dans le quotidien. Elle détient une brutalité, une honnêteté et révèle une identité, une signification qui dépasse le mot lui-même. « L’emblème » de la typographie vernaculaire est le graphiste et typographe Edward Fella de son alias Ed Fella. Il s’inspire dans ses productions de la culture américaine, Letters in America est un ouvrage composé de milliers de polaroïdes pris entre 1987 et 2000 (Figure 18), initié lors d’un trajet en voiture jusqu’à l’école où il enseignait à Detroit.

Frappé par les lettrages qui jonchent son parcours, enseignes, annonces, pancartes…, il décide de tout prendre en photo. « Les photographies sont composées de façon très précises. Ce ne sont pas les mots qui m’intéressent en particulier. Je découpe justement des morceaux des mots et des lettres pour en perturber la lecture »21. Se focaliser sur la forme et plus sur la signification, s’attarder sur les détails qui la rendent unique, voici l’essence du travail d’Ed Fella. (Une analyse de son travail se trouve en annexe page 54)

La lettre devient un élément contextuel, en perpétuelle évolution selon l’environnement et l’instant. Le caractère, le mot devient fragment, cela donne une liberté nouvelle au typographe, qui peut se libérer des formes traditionnelles pour jouer avec les contraintes locales et spécifiques à un lieu.

Conclusion

L’exploration menée dans cette note de synthèse révèle que la typographie dépasse largement son rôle de simple outil de langage et de communication. Elle se manifeste comme une forme d’expression libre, un langage plastique où le geste, l’outil, la matière, et l’espace dialoguent pour offrir des perspectives inédites.

Les artistes et designers étudiés, ainsi que mes propres expérimentations, illustrent une volonté commune de briser les cadres normatifs et de repousser les limites établies pour réinventer l’expérience du signe.

Se renouveler et explorer de nouveaux processus de création devient une nécessité. C’est en testant des méthodes inattendues, en investissant des espaces inhabituels, ou en s’appropriant des outils détournés que le designer peut véritablement enrichir sa pratique.

Ces démarches expérimentales permettent de sortir de ce que l’on connaît, de ce que l’on côtoie quotidiennement, pour s’aventurer vers des formes d’expression originales et parfois déroutantes.

Ce processus ne se limite pas à la quête d’une esthétique nouvelle : il s’inscrit dans une dynamique d’innovation où la surprise, l’imprévu, et même l’erreur jouent un rôle central.

En mêlant maîtrise et lâcher-prise, technique et spontanéité, la création typographique se révèle être un champ d’exploration riche pour dépasser les limites de la discipline. Ce cheminement met en lumière la capacité du designer à mobiliser pleinement ses capacités, son corps, son espace, et ses outils pour transcender les limites
de la lisibilité, tout en révélant une richesse visuelle et narrative insoupçonnée.

Dans une démarche de designer typographe chercheur, je souhaiterai pour mon projet de diplôme m’intéresser à la création typographique d’un contexte précis, en me contraignant dans ma création avec les outils exploitables autour de moi.

La recherche pourrait se diriger vers un métier, un métier ordinaire perçu comme banal qui pourrait être mis en valeur par des recherche typographique issus des outils, gestes, contraintes de ce métier. Une valorisation d’un domaine et d’un savoir-faire par la typographie.

Être au plus près de ce métier, l’observer, le déconstruire, l’analyser sous tous ses aspects pour en saisir l’essence et le transformer en signes. L’objectif est de révéler la technicité propre à ce métier tout en explorant le potentiel expérimental que peut offrir la création typographique.

Remerciements

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mes professeurs, Audrey Balland, Jérome Bedelet, Noémie Kukielczynski et Sylvère Collet. Je les remercie de m’avoir encadré, orienté, aidé et conseillé dans la rédaction de cette note de synthèse.

J’adresse mes sincères remerciements à la typographe et designer graphique Laurette Colmard pour le temps d’échange qu’elle m’a accordé avec tous ses précieux conseils pour la suite de mon parcours.

Je remercie également ma mère pour sa relecture essentielle.

Enfin, je remercie mes camarades de classe qui ont toujours été là pour moi.
Leur soutien inconditionnel, leur bonne humeur et leurs encouragements ont été d’une grande aide. En particulier Elsa et Anna.

Bibliographie

Adrian Frutiger. Des signes et des hommes, 1983.

Aglaé Dancette. « Les rituels quotidiens des génies pour être productifs », 12 avril 2019.
https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/routine-genies-creatifs-productivite.

Ashley Danyew. « On Developing a Daily Ritual : Insights From Mason Currey’s Book ». Musician & Co. Consulté le 13 décembre 2024. https://musicianandcompany.com/blog/book-review-daily-rituals.

Cai Guo-Qiang. « TED Talks : The Magic of Explosive Art ». Conférence, 2 août 2024.
https://youtu.be/P9h6ci3eCUU B634AB44&&FORM=VRDGAR.

Centre Pompidou. « Affiche Antidote 4 », 2011. https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/HRm82RC.

Christian Simenc. « Ces graphistes français que le monde s’arrache ». Les Echos, 22 janvier 2021.
https://www.lesechos.fr/weekend/livres-expositions/mm-ces-graphistes-francais-que-le-monde-sarrache-1283311.

« Collectif Mots voyageurs ».
https://mondes-nouveaux.culture.gouv.fr/fr/collectif-mots-voyageurs.

Coxgarden. « Les résidences d’artistes, le nouveau phénomène du monde de l’art! » Artists In Residence. https://www.artistsinresidencetv.com/content.asp?lang=fr&t=les-residences-d-artistes-le-nouveau-phenomene-du-monde-de-l-art&id=87.

Félix Farjas. « Écrire sans surface ». Mémoire de recherche, 2023.

Gallerie Perrotin. « Bernard Frize ». Perrotin, 2007.
https://www.perrotin.com/fr/artists/Bernard_Frize/4.

Ji-Young Demol Park. « Une peintre coréenne amoureuse des Alpes ». Youtube, 2018.

Julien Priez. BOOGY SHOW, le tracé échirolles, 2023.

La Condition Publique. « Installation Tisser Métisser ». La Condition Publique, 2022.
https://laconditionpublique.com/agenda/installation-tisser-metisser-collectif-mots-voyageurs.

LECTURE CONTEMPORAINE - M/M (Paris) : The New Alphabet, 2021.
https://www.youtube.com/watch?v=x5ezgQcP6Hc.

Malte Martin. « agrafmobile ».
https://agrafmobile.net/espaces-publics/mots-voyageurs-roubaix.

Marie-Ève Leclerc-Parker. « Les résidences d’artistes : une pratique vivante pour un art en mouvement ». Automne 2019, no 256 (9 octobre 2019).
https://viedesarts.com/dossiers/residences-dartistes-regard-sur-la-creation/les-residences-dartistes-une-pratique-vivante-pour-un-art-en-mouvement/.

Mason Currey. Daily Rituals How Artists Work. Knopf., 2013.

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https://podcasts.apple.com/us/podcast/the-artist-residency/id1342481337?i=1000558065880.

Smith, Jessica. « Ten of Annie Leibovitz’s Best-Known Photos ». Invaluable (blog), 2022.
https://www.invaluable.com/blog/10-of-annie-leibovitz-best-known-photos/.

Stéphane Paumier, La calligraphie japonaise, quartier japon (blog), 21/05/2013
https://www.quartier-japon.fr/sites/default/files/quartier_japon_-_livret_calligraphie.pdf

The Art Story. « Keith Haring Paintings, Bio, Ideas ». Consulté le 13 décembre 2024.
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https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/07/31/roman-opalka-le-temps-fait-son-uvre_374243_1819218.html.

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https://www.catherinezask.com/categories/projet/alfabetempo/.

Virginie VIGNON, recension de “le trait, une théorie de l’écriture”, 2010
https://shs.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2011-4-page-121?lang=fr


  1. 1 Chaque mot souligné est défini dans le glossaire en page 7 et 9

  2. 2 Currey, Mason. Daily Rituals How Artists Work. Knopf, 2013.

  3. 3 Viatte, Germain. Fabienne Verdier entretien, 2016.

  4. 4 Paumier, Stéphane, La calligraphie japonaise, quartier japon, 2013

  5. 5 Le Monde. « Roman Opalka, le temps fait son œuvre », 31 juillet 2004

  6. 6 Cai Guo-Qiang. « TED Talks : The Magic of Explosive Art ». Conférence, 2 août 2024

  7. 7 Julien Priez. BOOGY SHOW, le tracé échirolles, 2023

  8. 8 Citation extraite du dépliant de l’exposition boogy show au tracé

  9. 9 Interview de Julien Priez pour le tracé à échirolles, 2023

  10. 10 Roseau taillé dont se servaient les anciens pour écrire sur le papyrus ou le parchemin

  11. 11 Manière qui consiste à peindre un dessin avec de l’encre de Chine, du sépia, du bistre ou quelque autre couleur délayée dans l’eau. Ici de l’encre de chine.

  12. 12 Kristy Trinier, « The Artist Residency », dans Momus : The Podcast (Épisode 2), 12 décembre 2017

  13. 13 MOMUS. « The Artist Residency ». MOMUS THE PODCAST,

  14. 14 Sol LeWitt (1928-2007) est un artiste américain minimaliste et conceptuel

  15. 15 Adrian Frutiger. Des signes et des hommes, 1983.

  16. 16 Virginie VIGNON, recension de « le trait, une théorie de l’écriture », 2010

  17. 17 Félix Farjas. Écrire sans surface. Mémoire de recherche, 2023.

  18. 18 extrait du site internet de Catherine Zask, traduction : « mon métier est complètement déterminé par mon désir de mots, les mots pour moi mènent toujours à des images »

  19. 19 extrait du site internet de Catherine Zask

  20. 20 LECTURE CONTEMPORAINE - M/M (Paris) : The New Alphabet, 2021.

  21. 21 Vincent Tuset-Anrès, Renaud Faroux, Catherine Guiral et Randy Nakamura. Documents. Fotokino et Festival International de l’affiche et du Graphisme de Chaumont. 1 vol., 2011, citation d’Ed Fella.

Figure 1 : Vincent de Boer travaillant sur le projet MOD au bureau gouvernemental De Knoop situé à Utrecht, Pays-Bas ,2021

Figure 2 : Toiles de Détails de Roman Opalka exposées à la galerie Lévi Gorvy

Figure 2 bis : Aperçu en gros plan des peintures de Roman Opalka

Figure 3 : Performance d’Heather Hansen

Figure 4 : Fabienne Verdier dans son atelier 2009. Photo de Philippe Chancel

Figure 5 : Fabienne Verdier dans son atelier pour sa nouvelle série de peinture, Le chants des étoiles

Figure 6 : Cai Guo-Qiang supervisant l’allumage de sa performance à la poudre à canon, Étude des oiseaux, 2018

Figure 7 : Jackson Pollock dans son atelier à East Hampton, New York, 1950

Figure 8 : Exposition Boogy Show au tracé à Échirolles, photo d’un pinceau de Julien Priez

Figure 9 : Portrait de Keith Haring par la photographe Annie Leibovitz, New-York, 1986

Figure 10 : Installation Tisser-métisser du collectif Mots voyageurs
à la condition publique de Roubaix

Figure 11 : Zoom sur l’installation Tisser-métisser

Figure 12 : Extrait du livre Des signes et des Hommes, page 75, portant sur le squelette de la lettre.

Figure 13 : Extrait d’une vidéo de Felix Farjas lors de son travail sur le geste et le ductus

Figure 14 : Atelier de Catherine Zask lors de sa résidence à la villa Médicis, pour son projet Alfabetempo

Figure 15 : Brouillon du travail de Catherine Zask sur la création des signes du projet Alfabetempo

Figure 16 : Affiche de Mathias Schweizer pour l’exposition Antidote 4, Galerie des Galeries, Paris, 2008

Figure 17 : Extrait de The New Alphabet, alphabet anthropomorphe, new alpha b, affiche sérigraphiée (Courtesy Galerie Air Paris), 2016

Figure 18 : Extrait de Documents, Letters in America, 1987-2000